Opposer les besoins, trier les droits : une politique de gauche ?

Combat de coquelets et prise d'otage Il faut savoir gré à deux élus municipaux genevois de nous avoir ré-inventé (en la détournant) une méthode d'action parlementaire, qu'on pourra se faire un plaisir, sinon un devoir, d'utiliser et de détourner à notre tour lorsque l'envie nous prendra : la prise en otage d'une proposition à laquelle tout le monde (ou presque) est favorable, ou du moins feint de l'être, pour obtenir l'annulation d'une décision que le Conseil municipal ne peut pas annuler lui-même, parce qu'elle est de la compétence exclusive du Conseil administratif. Par exemple : suspendre la réalisation d'une crèche tant que le Conseil administratif n'a pas renoncé à résilier le bail de locataires dont les appartements pourraient être affectés au logement de personne sortant d'un hébergement d'urgence, mais pas encore de la précarité et de la rupture sociales. Ultime combat de coquelets de poulailler municipal, parlement à jamais inconsolable de ne pas être un législatif...  « Un des plus cruels abus du luxe qui nous a longtems dévoré... » C'est une histoire pas drôle du tout qu'on va se raconter au Conseil Municipal de la Ville de Genève.  Une histoire de droits que l'on oppose et qui ne devraient pas être opposés, de besoins qui se concurrencent et ne devraient pas être en concurrence. Certes, tout est relatif, et si on devait convaincre un berger Peul à la recherche de quelques touffes d'herbes sèches pour nourrir ses trois bovins faméliques qu'à Genève on est en situation de pénurie, on ne s'attirait de réponse qu'un ricanement incrédule -mais si la pénurie est définie par l'insuffisance de l'offre par rapport à la demande, pénurie de logements il y a bien à Genève pour la population aux revenus les plus modestes, et pour les personnes en situation précaire, surtout pour les femmes avec enfants. On parle bien ici de besoins et de droits, pas d'envies et de désirs. On ne parle pas d'envies qui s'opposent ou de désirs qui se concurrencent, mais de droits et de besoins que la collectivité publique doit satisfaire et concrétiser également, parce qu'elles sont les seules à pouvoir le faire. On parle du besoin de logements-relais pour des gens qui ne peuvent se loger (et pas seulement être hébergés en urgence) que si la collectivité publique le permet à ceux, et généralement celles, qui ne peuvent se loger autrement, on parle de places de crèches pour les enfants dont les parents ne peuvent pas se payer des nounous à domicile...  Alors quand une collectivité publique (disons, au hasard, la Ville de Genève) est propriétaire d'une villa (appelons-là au hasard, la Villa Ambrosetti...) presque au centre ville, que dans cette villa elle pourrait installer une crèche et des « logements relais », dont les associations féminines sont prêtes à être partenaires, on se dit qu'il n'est pas scandaleux, et évidemment pas totalement contraire à des « valeurs de gauche », qu'elle tente de les y installer, l'une et les autres. Même s'il faut pour cela inviter des locataires à déménager. Ils sont défendus par l'Asloca, les locataires. C'est son boulot, à l'Asloca, de défendre les locataires. Elle a été créée pour cela,  comme un syndicat de locataires. Mais le boulot des élus, et l'engagement des militants, est-ce qu'il n'aurait pas d'autres critères à respecter que celui des droits acquis ? Souvenons-nous au passage que les révolutions victorieuses commencent toujours, et toutes, par abolir les privilèges, abroger les droits acquis, révoquer les rentes de situation. A l'image de la révolution genevoise, qui, le 12 août 1794, « l'an 3e de l'Egalité genevoise », produit un décret résiliant tous les baux de location. Motif  : « un des plus cruels abus du luxe qui nous a lontems dévoré, étoit la manie des riches de promener leur inutilité dans de vastes appartemens. Cette usurpation de local avoit porté très haut le prix des logemens resserrés où la partie laborieuse du Peuple étoit forcée de s'entasser ». Et conclusion : « La Commission arrête que toutes les Locations actuellement existantes seront cassées, & regardées comme nulles & non  avenues à la fin des semestres commencés & courant pour chacune d'elle »... On serait pas un peu nostalgiques, là ? Ben oui. ça nous éloigne au moins des combats de coquelets livrés par le Conseil Municipal au Conseil Administratif pour savoir, comme l'a bien résumé la « Tribune de Genève », qui commande dans le poulailler. Dans l'histoire pas drôle qu'on raconte, le Conseil Municipal avait commencé, en 2012, par opposer deux droits : le droit acquis de ne pas changer de logement à la nécessité de créer des logements-relais entre l'hébergement d'urgence et le logement « normal ». Il avait privilégié le droit acquis. Il va poursuivre en opposant, pour défendre une rente de situation, l'ouverture d'une crèche à celle de logements relais. La prochaine étape, la prochaine prise d'otage d'un projet d'utilité publique pour la défense d'intérêts particuliers, ce sera quoi ?  l'augmentation des jetons de présence des conseillers municipaux comme condition pour voter le budget de la Ville ?

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