GAZA : QUE FAIRE ? AVEC QUI ? CONTRE QUI ?


Depuis deux semaines, il pleut sur Gaza. Une pluie de feu. Destinée, selon le faiseur de pluie, à "ramener la sécurité pour les citoyens d'Israël", alors que lui-même admet qu'il est illusoire d'en attendre qu'elle détruise tous les tunnels et tous les lance-roquettes qu'il dit viser. En 2009, une opération comparable lancée, sous le nom éloquent de "plomb durci", contre Gaza par le gouvernement israélien avait déjà fait 1300 morts. Pour quel résultat ? L'impérieuse nécessité de la rééditer en la rebaptisant "bordure protectrice" et d'en dépasser le bilan ? Le Premier ministre d'Israël n'entend pas s'en tenir au bientôt millier de morts de ce mois de juillet : "Nous sommes prêts à un élargissement substantiel de notre intervention terrestre"... à quoi se mesure au juste la substance de cette intervention ? A l'écart entre le nombre des morts chez les uns et le nombre de morts chez les autres ?
Le mécanisme du broyage des populations et de la raison est éprouvé : des roquettes (1500 en deux semaines) partent de Gaza et tombent en Israël, des bombes ou des missiles partent d'Israël et tombent sur Gaza, une proposition de trêve est faite par l'Egypte (ou par d'autres), Israël l'accepte, Hamas y met des conditions, Israël n'accepte pas ces conditions, en pose d'autres, que Hamas refuse tant que les siennes ne sont pas acceptées, Hamas et Israël refusent la trêve, Israël avertit la population des zones qui vont être bombardées : "on va cogner, évacuez" (Pour aller où ? Le ghetto de Gaza est bouclé...), missiles et obus se remettent à pleuvoir sur les populations civiles et le spectacle reprend : sur les terrasses israéliennes proches de Gaza, le soir, les habitants prennent le frais en regardant les lueurs des bombardements et le tracé des missiles pendant que dans leurs abris (inaccessibles à la population civile), les cadres du Hamas attendent que ça passe. L'UNRWA, l'agence de l'ONU qui depuis soixante--cinq ans assure la survie des Palestiniens, découvre 20 roquettes planquées dans une école... et la commission de politique de sécurité du Conseil National suisse renonce à une visite en Israël**. Enfin, renonce... disons qu'elle la reporte à un moment où l'opinion publique pensera à autre chose...


"Gardez-moi de mes amis, mes ennemis je m'en charge" (proverbe palestinien)...

La solidarité avec le peuple palestinien, non seulement pour que cesse ce qui le broie aujourd'hui mais aussi, et surtout, pour qu'il accède enfin aux droits que l'on proclame être ceux de tous les peuples, s'impose, sans la barguigner. Mais la solidarité, si elle veut être autre chose que l'exhibition de la compassion, ne dispense pas de la lucidité -au contraire : elle la suppose. Il n'y a aucun doute sur qui, à Gaza, est la victime, et de qui les victimes le sont : Israël s'y rend coupable de ce que le droit international -à commencer par celui dont la Suisse est dépositaire- qualifie de crimes de guerre, contre la population civile. Mais il n'y a pas seulement à reconnaître les victimes et à désigner les coupables d'un crime : il y a aussi à en identifier les complices. Précisément au nom de la solidarité dans un combat pour des droits indivisibles, un combat qui commence par répondre à une vieille question léninienne : Que Faire ? Que faire, non pour exposer notre solidarité mais pour qu'elle ait effet. Que faire là où nous sommes, avec les armes dont nous disposons et dont nous acceptons l'usage,  pour que "cela" cesse ?  Cela : l'écrasement de la population civile de Gaza, mais aussi le Mur, les colonies, l'occupation, le confessionnalisme, et le parrainage politiquement crapuleux des Palestiniens par ceux qui capitalisent sur leurs morts. Que Faire  ? Pas n'importe quoi, pas avec n'importe qui...

Il y a du narcissisme dans la posture solidaire, quand elle n'est précisément qu'une posture,  qu'elle se conjugue à l'analphabétisme historique, et que, par exemple, elle ne conçoit pas que l'on puisse soutenir les Palestiniens sans soutenir le Hamas.
Il nous souvient de ce cadre du FPLP qui, au début des années septante, nous disait, amèrement ironique, que le drame des Palestiniens ne tenait plus, depuis 1967, à leur solitude, mais à la prolifération de leurs soutiens et de leurs parrains.  Et qui s'interrogeait sur le besoin irrépressible de l'extrême-gauche européenne de se trouver, elle aussi, une Terre Promise : ayant découvert les Palestiniens en 1967, elle avait fait de la Palestine, après d'autres, sa Terre Promise et des Palestiniens son Peuple Elu... en cultivant ce syllogisme à la con : l'ennemi de mon ennemi est mon ami. Ou, un peu plus subtilement, en résumant la dialectique maoïste (la distinction entre la contradiction principale et la contradiction secondaire, l'ennemi principal et l'ennemi secondaire), en se convainquant que, puisque l'ennemi principal (les Etats-Unis, pour l'extrême-gauche européenne) financent à coups de milliards de dollars (plus de trois milliards par an, actuellement) l'appareil militaire israélien, soutenir ceux que cet appareil militaire écrase (les Palestiniens) c'est participer au combat contre l'ennemi principal...
Cette élection de peuples tragiques pour suppléer au prolétariat désormais inclus dans la société marchande, et cette réduction de la dialectique au sophisme, il nous faut bien avouer d'ailleurs qu'il nous arriva à nous aussi d'y succomber.  Raison de plus pour n'y pas retomber, et cesser de ménager des salauds pour la seule raison qu'ils en combattent d'autres : le Hamas, qui a pris le pouvoir à Gaza par la force en 2007, est de ces parasites qui prolifèrent sur le malheur des Palestiniens et empêchent la reconnaissance de leurs droits. En Israël, les colons et leurs partis sont de la même engeance -celle qui n'exige une opération militaire "définitive" qu'en prônant l'opération militaire encore plus "définitive" qui lui succèdera...  pour n'aboutir qu'à une pause avant pire encore, avec pour seule perspective celle que Netanyahou promet sur un ton parodiquement churchillien : "des jours longs et pénibles"...

Mettre fin à la punition collective des Palestiniens de Gaza, mettre fin au blocus dont ils sont victimes (et auquel participe l'Egypte), démanteler le mur et les colonies, ne sont pas des exigences exorbitantes : chacune* relève du respect du droit international -or ce respect par les Etats est aujourd'hui la condition nécessaire de leur légitimité : Pour autant qu'un Etat puisse être légitime (ce dont, en ce 200e anniversaire de la naissance de Bakounine, on s'autorisera à douter), sa légitimité ne tient plus,  comme au temps de Machiavel, à sa seule capacité de contrôler un territoire (l'Etat est une donnée des faits,  donc il est légitime...), mais à sa capacité de respecter des règles de droit et d'y conformer ses pratiques. Et cela vaut pour Israël comme pour tout autre Etat, ni plus ni moins légitime que lui.
De même, la légitimité d'un mouvement politique ne devrait plus, tenir à sa seule capacité d'action, mais à son programme et à ses pratiques. Or ce pourquoi un mouvement se constitue, ses objectifs, son projet, est dit dans ses textes fondateurs, et la Charte du Hamas ("Dieu est son but, l'Apôtre son modèle, le Coran sa constitution, le jihad son chemin et la mort sur le chemin de Dieu la plus éminente de ses espérances"), qu'on ne saurait trop inviter à lire (http://iremam.cnrs.fr/legrain/voix15.htm) dit clairement son étrangeté à toute espèce de revendication fondée sur un droit à l'autodétermination palestinienne : "Notre combat contre les Juifs est une entreprise grande et dangereuse qui requiert tous les efforts sincères et constitue une étape qui, sans nul doute, sera suivie d'autres étapes; c'est une phalange qui, sans nul doute, sera soutenue par d'autres qui, phalanges après phalanges, viendront de cet immense monde arabe et islamique jusqu'à l'écrasement des ennemis et la victoire de Dieu"... En conséquence de quoi, chaque enfant, chaque vieillard, chaque femme, chaque civil de Gaza tués dans "Bordure protectrice" (mais protectrice de quoi, et de qui ?) est une défaite d'Israël, et une victoire du Hamas. "Dans deux ou trois jours, nous en aurons fini avec la plupart des tunnels" creusés par le Hamas, a promis lundi le ministre israélien de la Défense. Et ensuite ? en "finir avec les tunnels" (pour combien de temps ?) est-ce en finir avec les causes d'un conflit dont ce ministre, comme tout le gouvernement auquel il appartient, refuse précisément d'admettre qu'il est nourri par la colonisation et le blocus ? Netanyahou se dit déterminé à "ramener un calme durable". Celui des cimetières ? 

On n'attend rien du Hamas -rien d'autre que ce qu'il proclame lui-même être. Et si on attend encore quelque chose d'Israël, ce n'est pas de son gouvernement, mais de son peuple -du moins de cette part de ce peuple qui ne regarde pas bombarder Gaza comme on savoure un spectacle son et lumière, mais qui manifeste sous les injures son dégoût de cette connivence avec les massacres, son refus de cette résignation à ce que chaque "ligne rouge" éthique soit lors d'une opération de représailles déplacée pour que l'opération suivante soit encore pire,  et sa volonté de construire avec les Palestiniens (on devrait dire : "les autres Palestiniens...") un voisinage civilisé, voire cette société dont la gauche palestinienne et la gauche de la gauche israélienne défendent depuis bientôt cinquante ans le projet démocratique, laïque, "républicain" et non ethnique -ni hébreu ni arabe, ni musulman ni juif : palestinien au sens géographique du terme.

L'Etat qui colonise est illégitime parce qu'il colonise; le mouvement de purification religieuse (au passage, on rappellera qu'un-e Palestinien-ne sur dix est chrétien, et que "juif" et "sioniste" ne sont synonymes que dans un vocabulaire de l'extrême-droite...) est illégitime parce qu'il nie des droits et des libertés fondamentales.  Gaza se retrouve doublement otage, de l'Etat qui la bombarde et  du mouvement qui la contrôle. Et c'est un des drames de l'histoire du peuple palestinien que d'avoir affaire à des mouvements de ce genre parlant en son nom : la droite, l'extrême-droite, les colons israéliens ne peuvent rêver adversaire plus commode, et plus complice. On peut dès lors "négocier" avec lui, et donc, tout en proclamant ne rien attendre l'un de l'autre, et en niant réciproquement leur légitimité, le gouvernement d'Israël et le Hamas "négocient".
Les "familles" de la mafia aussi négocient leurs territoires, leurs exactions et leurs négoces...


"Gardez-moi de mes amis, mes ennemis je m'en charge" pourrait être un proverbe palestinien...

* La lettre collective que le collectif "Urgence Palestine" a adressée au Conseil fédéral il y a dix jours rappelle ces exigences élémentaires de respect du droit international, et demande au Conseil fédéral d'agir pour qu'Israël le respecte. Par ailleurs, 98 prix Nobel,  artistes et intellectuels du monde entier ont lancé un appel exigeant un embargo militaire immédiat à l'encontre de l'Etat d'Israël (http://ilmanifesto.info/solidarieta-alla-palestina-premi-nobel-artisti-e-intellettuali-chiedono-un-immediato-embargo-militare-ad-israele/)

** La Suisse projette en effet d'acheter, pour un quart de milliards de francs, des drones israéliens (Israël est le principal fournisseur de drones, qui pèsent, en valeur, un dixième de ses exportations d'armes -Israël est le quatrième exportateur d'armement au monde- et sont à l'origine de plus du tiers des victimes civiles de l'opération "plomb durci" de 2009. Plus les drones tuent, plus on en vend...

   




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