Grisélidis s'ennuyait dans son Panthéon, quand soudain...


Trublionne posthume...

Grisélidis Réal repose certes dans le petit Panthéon genevois, mais pas pour laisser Genève en repos. Troubler était une vocation, chez elle et c'est aussi pour cela que Genève avait décidé de l'honorer d'une place dans le même cimetière que Calvin ou Borges -mais tel est pris qui croyait se déprendre de la perturbatrice : ce n'est plus le lieu de repos des cendres de la courtisane qui est contesté mais ce qui va en signaler la localisation : Le Conseil administratif de la Ville de Genève a refusé pour la deuxième fois le projet de stèle devant être placée sur la tombe de Grisélidis Réal au cimetière des rois. Le projet du sculpteur Jo Fontaine évoquerait de manière trop explicite un sexe féminin. En réalité, rien n'est vraiment explicite, on est dans le symbole (un triangle dans un cercle), et c'est beau. Et puis quoi ? rappelle Jo Fontaine :  il y a déjà « plusieurs paires de fesses et de seins au cimetière des rois ».. Et très explicites, ces paires. Pour ne rien dire du phallus granitique qui orne, sur son tapis de roubignolles, la tombe de l'illustre Georges Favon, ci-devant  Conseiller d'Etat.


 «  Ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards, ni patience »


Sur la tombe de Grisélidis Réal, Genève, on a inscrit comme elle le souhait : « Ecrivain, peintre, prostituée ». Ces trois mots, « il faut les lire ensemble », demande son ami Jean-Luc Hennig.  Ecrivain : lisez Le noir est une couleur, roman dont elle est le sujet et l'objet, l'auteur et l'héroïne.  Prostituée : la « catin révolutionnaire » se fit syndicaliste des fleurs de trottoir, revendiquant sans honte ce qu'elle considérait comme un métier, et qu'elle exerçait non seulement pour vivre mais aussi pour que les hommes avec qui elle avait commerce ne soient pas, ne fut-ce que pour le moment de ce commerce, ces âmes et ces corps errants perclus d'une solitude meurtière.
Capable de tout, de se sacrifier pour des amants détestables et de revendiquer le plus haut et le plus fort qu'elle pouvait tout ce qui en elle pouvait horrifier à Genève les «suppôts de Calvin » et les « larves religieuse frigorifiées», combattante pour les droits des putains et ceux des tôlards, boulimique de liberté et de sentiments insurgés, sans doute est-elle aussi peu à sa place qu'il se peut dans le petit cimetière des Grands de la République. Cela seul, cette étrangeté aux honneurs et aux normes, justifie la place qu'on l'y a faite. Mais il faut l'assumer, cette place. Ne pas se contenter de l'y avoir mise, accepter qu'elle y soit ni pour y reposer, ni pour que l'on se repose d'elle, mais pour qu'elle continue à semer le trouble -puisque «ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards, ni patience » (René Char)

Elle écrit : «  J’ai beau être remontée à la force de mes poignets du fond de la fosse, il n’y a rien à faire : nous sommes de l’autre côté de la barrière. Quand bien même je deviendrais un écrivain célèbre, je resterai toujours du côté des maudit ». Du côté des maudits, même entourée de tombe de notables, même célébrée par l'officialité genevoise.

« Je suis sûr que si Grisélidis nous voit, elle doit trouver ça très drôle», confie Sami Kanaan. ça? Le refus du Conseil Administratif (à une seule voix de majorité) que sur sa tombe soit placée la belle stèle projetée par Jo Fontaine et acceptée par les enfants de Grisélidis, non loin de celle de quelques «larves religieuse frigorifiées», et non loin de celle de Calvin.

Inspirés par la démarche de la majorité du Conseil Municipal ayant pris (avec succès) en otage un projet de crèche pour exiger du Conseil Municipal qu'il renonce à projet de logements-relais, nous avons déposé au même Conseil Municipal deux propositions de prise d'otage, des jetons de présence des conseillers municipaux d'une part, d'une subvention à des « véhicules écologiques » d'autre part, pour exiger du Conseil administratif qu'il renonce à s'opposer au projet de Jo Fontaine.

Il peut prendre son temps : Grisélidis a l'éternité pour elle.

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