Eintartete Recht

   
L'UDC  lance une initiative pour instaurer la primauté du droit fédéral sur le droit international (autrement dit : pour instaurer la primauté des initiatives de l'UDC sur la Convention européenne des droits de l'Homme). Seul le droit international impératif, qui proscrit le génocide, la torture et l'esclavage, devrait être respecté. Et encore, sous réserve de précisions convenant à l'UDC. "Il est inacceptable d'être prisonnier des droits de l'homme", hennit l'écuyère genevoise de l'UDC, Céline Amaudruz. Et d'être prisonnier des lubies de l'UDC, c'est acceptable ? Même son ancien Conseiller fédéral Adolf Ogi se convainc qu"il est temps d'arrêter Christoph Blocher" (le temps, justement, devrait y pourvoir, mais avons-nous encore le temps du temps ?) Le PS rappelle que les droits humains et le droit international sont une "conquête civilisatrice" -mais qu'est-ce que ces mots peuvent bien signifier pour une Amaudruz, ou pour l'UDC ? Des mots, précisément. Rien que des mots. Et étrangers, en plus...

La démocratie, ce n'est pas le régime dans lequel le peuple a toujours raison, c'est le régime où le peuple a le pouvoir d'avoir tort

Outre l'initiative populaire de l'UDC, trois propositions parlementaires visent à soustraire les mouvements d'humeur de l'électorat suisse à la confrontation avec les engagements internationaux de la Confédération, et avec les principes du droit (et de l'Etat de droit). L'UDC veut donc que les décisions populaires priment sur le droit international -ce qui est d'ailleurs déjà le cas puisqu'aucun vote populaire en Suisse n'a jamais été annulé au nom du droit international).  Et que s'il devait y avoir contradiction entre  la Constitution suisse et un traité international (la Convention européenne des droits de l'Homme, par exemple), ce qui n'est encore jamais arrivé (les contradictions possibles sont entre la convention et des lois fédérales d'application), ce traité soit renégocié, ou, pour la Suisse, résilié.
Là, on cauchemarde : Dès lors que la Suisse ferait passer le résultat, ponctuel et, forcément arbitraire, d'une votation fédérale avant des normes internationales garantissant des droits fondamentaux, au nom de quoi condamnerait-on les lois homophobes de l'Ouganda, la mise en oeuvre de la charia dans un Etat islamiste, le projet de réviser le Code pénal à partir du Lévitique ou la pratique de la torture un peu partout ? Le PLR s'inquiète des projets de l'UDC. Il s'inquiète pour les droits humains, le PLR ?  Non : il s'inquiète pour la place économique suisse !  C'est quand même rassurant de constater qu'il y a encore en Suisse des partis politiques qui savent préserver leurs fondamentaux.

Reste qu'on s'interroge : Au-delà de la simple opportunité électorale, et de la rogne de voir des textes d'initiatives votés par une majorité populaire se heurter, lorsqu'il s'agit de les appliquer, à des normes de droit supérieur, qu'est-ce qui peut bien à ce point faire peur à l'UDC dans la primauté du droit international sur le droit national ? La réponse est dans la cible que se donne le parti : les textes internationaux garantissant les droits fondamentaux,  individuels et collectifs. C'est en cela que le hennissement de l'udéciste genevoise résume bien la démarche de son haras : "Il est inacceptable d'être prisonnier des droits de l'homme" et d'être par eux empêchés de faire n'importe quoi, comme si le droit international n'était qu'une dégénérescence du droit du plus fort, un droit dégénéré comme il y eut naguère une culture dégénérée... "Le droit international ne castre pas le peuple", assure le Secrétaire d'Etat Yves Rossier. En faire l'ennemi principal de la démocratie directe, en revanche, le décérèbre... Depuis quarante ans, la Convention européenne des droits de l'homme a d'ailleurs largement, et profondément, influencé le contenu de la Constitution suisse (et des constitutions cantonales), au point d'y être repris sans contestation référendaire.

Ce n'est pas que l'on se fasse ici d'excessives illusions sur le droit international. Au fond, il n'est formellement, au droit national ce que celui-ci est au droit régional (le droit cantonal, en Suisse) : un cadre dans lequel le droit d'ampleur plus réduite doit s'insérer pour être légitime. Quant aux droits humains, et aux textes internationaux qui les proclament, ce sont des droits de la personne contre l'Etat (et plus généralement les pouvoirs politiques) : "Toute personne humaine a des droits qu'aucun Etat, dictateur ou régime ne peut lui prendre", résume la Conseillère nationale vaudoise (PS) Cesla Amarelle. Mettons cependant cette phrase au conditionnel, la réalité se chargeant continuellement de nous rappeler que les Etats, les pouvoirs en place (ou des mouvements aspirant à devenir de tels pouvoirs) n'ont de cesse d'être tentés de "prendre" ces droits fondamentaux des personnes -et lorsque nous évoquons les "pouvoirs en place", nous n'avons garde d'oublier que les pouvoirs économiques n'en sont ni les moindres, ni, souvent, les moins brutaux. Le droit international n'a jamais empêché qu'une saloperie soit commise ? Sans doute -du moins la désigne-t-il pour la saloperie qu'elle est -et c'est d'ailleurs la fonction essentielle du droit, qu'il soit national ou international : dire ce qui est admissible et ce qui ne l'est pas. Le code pénal criminalise le viol et le meurtre, des viols et des meurtres sont toujours commis : en déduit-on qu'il faut cesser de les réprouver ?

Bref, ce que l'UDC veut faire passer au second plan du droit national, ce sont des textes qui, pour autant que la Suisse respecte ses propres engagements et sa propre signature, peuvent dissuader de faire n'importe quoi au nom du "peuple souverain" et du piteux discours sur le "peuple qui a toujours raison" -la démocratie, en effet, ce n'est pas le régime dans lequel le peuple a toujours raison, c'est le régime où le peuple a le pouvoir d'avoir tort... reste qu'il faut bien que quelqu'un puisse le lui dire, qu'il a tort. Et qu'il faut qu'une instance supérieure aux instances nationales puisse servir de recours à celles et ceux dont les droits ont été bafoués par les instances nationales, ce qui arrive aussi en Suisse. Amnesty International rappelle ainsi que la veuve et les enfants d'un travailleur exposé à l'amiante et mort de cette exposition ont obtenu justice grâce à la Cour européenne après que les instances suisses aient invoqué des délais de prescription pour dénier leur droit à une indemnisation. C'est cela, très concrètement, c'est ce recours que l'UDC s'apprête à vouloir rendre impossible : un recours des personnes contre des dénis de justice commis par des appareils d'Etat.

Les droits fondamentaux proclamés par le droit international ne sont pas des droits qu'il accorde aux Etats, mais des droits qu'il proclame être, imprescriptiblement, ceux des personnes contre les Etats et les pouvoirs. Et qu'ils sont les droits de toutes et tous -y compris d'ailleurs de celles et ceux qui n'en veulent pas, ou n'en veulent que pour eux-mêmes, sans les reconnaître aux autres : le droit international qui s'impose au droit national protège aussi les udécistes... ne serait-ce que contre eux-mêmes, et leur incapacité ontologique à admettre qu'on n'a jamais que les droits que l'on reconnaît aux autres, que les autres ont tous les droits que l'on revendique pour soi et que comme disait l'autre "la liberté de tous étend la mienne l'infini".
Mais bon, citer Bakounine plutôt qu'Adolf Ogi pour répondre à l'UDC, cela tient un peu de la prédication dans le désert...

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