Traversées routières de la rade ou du Petit lac : Quand une traversée coule l'autre...


De gros poissons se sont réunis l'autre jour à la Nautique pour soutenir (contre le PLR et le PDC) l'initiative de l'UDC en faveur d'un tunnel routier sous la rade : l'Automobile-Club, le Touring-Club, la Chambre de commerce et d'industrie, vous voyez le genre. Plutôt mérou que perchette. D'ailleurs, la gauche et les associations opposées au projet udéciste (auquel la droite gouvernementale, lâchée par ses relais habituels, est aussi opposée) avaient lancé leur campagne juste en face de la Nautique : aux Bains des Pâquis. La gauche sur la rive droite, la droite sur la rive gauche, et le fantômatique tunnel de la discorde entre les deux : joli tableau genevois. Surtout que le projet que combattent la gauche et les partisans de la mobilité douce, et que soutient le lobby bagolesque, risque fort d'avoir surtout comme effet de rendre impossible (de notre vivant du moins -et l'espérance de vie ne cesse de s'accroître) toute traversée routière de la rade ou du petit lac.

Faire entrer Genève dans la modernité de 1914 ?

Dans la Tribune de Genève, le président du TCS nous explique que voter pour la traversée routière de la rade version UDC, c'est une «réponse crédible (...) pour qui veut faire entrer Genève dans la modernité »... dans la modernité de 1914, alors, parce pour faire entrer Genève dans celle de 2014, il vaudrait mieux permettre aux Genevois de se passer de leur bagnole que les encourager à l'utiliser pour effectuer des déplacements qu'ils pourraient faire en transports publics ou à vélo. Ou en Mouettes. Quant aux «  Jeunes UDC », qui semblent attendre un miracle, ils ont pondu, pour soutenir l'initiative des Vieux UDC en faveur de la traversée routière de la rade, une affiche qui, représente Moïse écartant les eaux de la Mer Rouge pour permettre aux Hébreux de fuir les Egyptiens, avec comme slogan «  possible avant JC, possible après ». Bon, c'est clair que, comme image et slogan, ça peut certainement mieux parler à Genève qu'à Gaza, mais on se fait quand même un devoir de rappeler qu'à Genève, ce qui était « possible avant J-C » ce fut de couper des ponts comme Jules le fit pour empêcher les Helvètes de descendre en Provence, et reste d'éviter de construire un pont ou un tunnel qu'on a pas la première sesterce pour payer.

On pourrait aussi ironiser (mais on le fera pas, c'est pas notre genre) sur le fait que les ressources publiques nécessaires au financement du tunnel projeté par l'UDC sont inexistantes, largement consumées qu'elles sont notamment par la construction des multiples prisons dont la Capitale Mondiale des Droits Humains a décidé de se doter, prisons dont les partis politiques partisans soit de la traversée routière de la rade, soit de la traversée routière du petit-lac, soit des deux à la fois, sont aussi de chauds, brûlants même, partisans. Ces prédicateurs de l'équilibre budgétaire et de la restriction des investissements ont de curieuses absences au moment de proposer ou de décider de creuser sous la rade, de pontonner sur le petit-lac ou de parsemer Genève de geôles. En revanche, quand il s'agit de politique sociale...

On n'ironisera donc pas. On se contentera de ricaner doucement à l'évocation de l'hypothèse d'une acceptation de l'initiative udéciste : si nous étions aussi tortueusement pervers qu'il nous arrive de nous imaginer, nous aurions appelé à la voter, cette initiative. Parce qu'en plus d'accroître le trafic et les bouchons sur ses routes d'accès, et donc d'emmerder encore un peu plus les automobilistes auxquels elle est destinée, elle est le plus sûr moyen de rendre impossible la réalisation de l'autre projet d'autoroute translacustre, celui, sur ou sous le Petit Lac,  que défendent le Conseil d'Etat, le PLR et le PDC (et les partisans de l'initiative UDC...), et que l'acceptation d'un projet à la fois concurrent et irréalisable renverrait aux calendes patagones. D'autant que cette acceptation ne garantirait nullement la réalisation même du projet udéciste : chaque projet de loi, chaque plan de réalisation, chaque décision d'expropriation, de déclassement, d'aménagement des espaces nécessaires, sur les deux rives, au tunnel sous la rade ferait l'objet (on y aiderait, comme on pourrait) d'un référendum, d'une opposition, d'un recours... On en aurait ainsi pour quelques décennies à s'amuser -pendant quoi l'autre projet moisirait doucement dans les bas fonds des archives et des ordres du jour parlementaires.
De plaisir, de soulagement et de gratitude, les canards, les cygnes, les poissons et les riverains de la rade en cancaneraient, en vrombiraient, en frétilleraient. Et nous avec eux.
On n'a pas si souvent, il est vrai, l'occasion de témoigner de notre reconnaissance à l'UDC et au TCS, que nous puissions ignorer celle qu'ils sont prêts à nous offrir.

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