Genève à la quête des « doublons » : une chasse au trésor sans trésor


    

Il paraît que c'est le chantier institutionnel le plus ambitieux depuis la fusion de 1931 entre la Ville de Genève et les communes des Eaux-Vives, de Plainpalais et du Petit-Saconnex. Plus ambitieux alors que celui de la nouvelle constitution -ce qui, vu le résultat dont avait finalement accouché la Constituante, n'est pas vraiment une performance. Un chantier institutionnel ambitieux ? Peut-être. Mais sans réel débat démocratique. De quoi parle-t-on ? Mais du « désenchevêtrement des tâches publiques » et de la « chasse aux  doublons », voyons... Un rapport pondu par un « groupe de travail technique » paritaire (canton/communes, mais avec un seul représentant de la Ville de Genève) a été transmis à un «comité de pilotage» politique chargé de conduire une réforme de la répartition des tâches entre le canton et les communes. Vieux serpent de lac, d'Arve et de Rhône, chasse au trésor sans trésor...

Le doublon, du temps de la grandeur espagnole à celui des petitesses genevoises

ça veut dire quoi, au juste, améliorer la répartition des tâches ? Du point de vue cantonal, c'est clair, quoiqu'on en dise et s'en défende : ça veut dire faire payer les communes pour des tâches dont le canton gardera en tout cas le contrôle, voire la compétence, mais dont il ne veut plus assumer la charge. Parce qu'au-delà des grands mots creux (genre « gouvernance », «efficience»...), il s'agit de pognon et de pouvoir, même si le Conseil d'Etat et l'Association des communes jurent leurs grands dieux que « la réforme ne vise pas un report de charges au détriment des communes ou du canton, mais bien une répartition plus efficace des tâches et des ressources qui doivent être liées », le niveau institutionnel qui se verra confier une tâche devant percevoir également « les ressources nécessaires à leur accomplissement ».  Seulement voilà : ces belles paroles cachent mal les triviales réalités. Celles où on parle de pognon : le canton a besoin de 200 millions pour financer ses investissements, de 150 millions pour effacer un déficit structurel -dû en grande partie aux cadeaux fiscaux qu'il a accordés- et de 200 millions pour combler la perte de ressources fiscales que provoquera l'unification -à la baisse pour la plupart d'entre elles- du taux d'imposition des entreprises. Et comme les majorités parlementaires et gouvernementales ont fait d'un rétablissement de la charge fiscale un tabou, de la dette un épouvantail et de l'équilibre budgétaire un dogme, la solution (de facilité) semble s'imposer d'elle-même : siphonner les communes.
Et puis, on ne parle pas seulement de fric, on parle aussi de pouvoir :  comme les propositions de supprimer purement et simplement la commune-centre, ou de l'éclater en communes-coupions, ont fait long feu (ou ont été congelées, dans l'attente d'être resservies), il s'agit de ne laisser aux communes en général, aux villes en particulier et tout spécialement à celle de Genève, que le moins de compétences possibles au delà du strict nécessaire à la prise en charge de ce que le canton ne veut pas prendre en charge. Le « la » des volontés cantonales est donné par des décisions déjà prises ou des propositions déjà faites : suppression d'allocation aux personnes à l'assistance, proposition de ne pas assumer la part cantonale prévue, voir de ne pas assumer sa part, dans le financement de la fondation romande pour le cinéma, gros doutes sur la participation cantonale au financement du projet de Nouvelle Comédie... La nouvelle loi sur la culture donne au canton des compétences qu'il n'avait pas ? Il refuse d'en payer le prix. Une part croissante de la population est menacée, ou frappée,  de précarisation ? Il tente d'empêcher la Ville de Genève de compenser la faiblesse des aides cantonales. Les citoyennes et les citoyens acceptent une initiative contre la hausse des tarifs des transports publics ? Il veut la faire payer aux usagers des TPG...

Ce sont ces rabotages, voire ces suppressions, de prestations, ces abandons de responsabilités, ce refus de tenir des engagements pris ou de respecter la volonté populaire, qui scandent désormais les choix politiques du canton dans tous les domaines où il pense pouvoir reporter des charges sur les usagers des services publics, les ayant-droit de prestations sociales... ou les communes. Des communes dont les principales (en particulier la principale des principales...) s'obligent déjà elles-mêmes à combler les lacunes du canton, telle la Ville de Genève accordant aux bénéficiaires des prestations complémentaires à l'AVS et l'AI une allocation supplémentaire, parce que ces prestations complémentaires sont insuffisantes.

Au temps de la grandeur espagnole, le doublon était une vraie monnaie d'or. Au temps de la petitesse genevoise, il n'est plus qu'une fausse monnaie politique.

Commentaires

Articles les plus consultés