« 200ème anniversaire » de la « police genevoise » : On célèbre quoi, au juste ?


Demain samedi, la célèbre police genevoise célébrera (si son célèbre syndicat et le célèbre MCG l'y autorisent) son 200e anniversaire, par un grand défilé costumé du Port Noir à Neuve. Ce qui relève d'ailleurs plutôt de l'opportunisme que du travail  historique (mais on est à Genève dans le temps des 200e anniversaires, depuis l'ouverture, le 1er juin dernier, de la célébration de l'entrée de la République dans la Confédération, alors on célèbre...), puisqu'il y a une police depuis bien plus longtemps que deux siècles à Genève : le guet et les chasse-gueux de la vieille République, la gendarmerie et la police de Fouché sous le régime français... Peu importe après tout, si cela peut donner l'occasion de réfléchir sur le rôle, le statut, la fonction, les pratiques de l'appareil d'Etat que l'on célèbre. Et ça tombe bien : des libertaires invitent demain à une « parade festive » sur la Plaine de Plainpalais, dès 13 heures 30, non loin de la pierre du 9 novembre...

«  Plus qu'une mission : 200 ans au service de la bourgeoisie ». Ben, forcément... au service de qui, sinon ?

Les organisateurs de la « parade festive » de samedi, réponse au défilé autopromotionnel de la police genevoise,  dénoncent en celle-ci une police au « service de la bourgeoisie depuis 200 ans ». Ils ont raison, mais comme on a raison quand on enfonce une porte ouverte : la police est « u service de la bourgeoisie» parce qu'elle est au service du pouvoir quel qu'il soit, et que le pouvoir est, ici comme à peu près désormais partout ailleurs, au service d'une classe qu'on continue d'appeler la «bourgeoisie» faute de lui avoir trouvé un nom plus seyant que cette vieillerie marxisto-balzacienne. Qu'attendre d'autre, en effet, de la police qu'elle soit l'instrument du maintien de l'ordre social, et qu'elle soit « au service » de ceux qui déterminent cet ordre ? Si un Etat prolétarien était concevable autrement que comme un oxymore, il aurait sa police (d'ailleurs, les Etats se proclamant « prolétariens » se dotèrent tous d'une police incomparablement plus brutale et homicide que la pire de toutes les polices de n'importe quel Etat «  bourgeois ») : si vous ne voulez pas de police « au service » de la classe dominante, il vous faut ne plus vouloir de l'Etat (ni de classes), et si vous voulez encore de l'Etat, quelque forme qu'il prenne, vous devez vous accomoder de sa police, n'ayant le choix qu'entre une police respectueuse de la loi qu'elle est supposée faire respecter et une police la piétinant...

« La rue n'appartient pas aux flics », proclame le « Réseau Antifasciste Genève ». « La rue appartient à tout le monde», rétorque le député-flic MCG Thierry Cerruti. Elle appartient donc aussi à celles et ceux qui ne veulent pas qu'elle appartienne « aux flics »... ni que les flics eux-mêmes appartiennent au MCG, qui lance un référendum contre la nouvelle loi sur la police en couinant qu'il est inadmissible que les autres partis aient osé le défier sur son terrain (la police, donc), s'emparer de sa chose (la police, donc), définir les fonctions de son troupeau (la po... oui, bon, zavez compris où on voulait en venir), et ne pas exclure explicitement, dans la loi, promis, juré, si je mens je vais à la Brenaz, que les frontaliers et les étrangers ne pourront pas être policiers à Genève. Mais on s'en fout, nous, que les flics soient suisses ou pas : on veut juste qu'ils sachent lire, écrire, compter et parler -faire leur boulot correctement quoi. C'est vrai qu'à entendre les Golay et autres Cerruti, on se dit que c'est une attente irraisonnée, mais bon, si on n'a pas des espérances plus grandes que l'inévitable, la vie serait bien triste...

Bref, samedi, la police genevoise devrait défiler (et les anars ricaner). C'est vrai que ça doit se célébrer, la police d'un canton qui se couvre de prisons que remplissent une campagne d'épuration sociale sans équivalent depuis des décennies, d'un canton dont le budget sécuritaire augmente d'un tiers dans le même temps où les prestations sociales sont rabotées, d'un canton dont le deuxième parti politique est celui qui se proclame lui-même le parti de la police. Ici, aujourd'hui, célébrer la police, après tout, ce n'est que célébrer une évidence... à laquelle nous en opposerons une autre : celle d'un droit fondamental à la désobéissance civile, à cette « infraction civile aux  décrets sans morale que la loi a établis » -une infraction qui n'a n'a pas plus de terme que la production de lois injustes et la perversité d'institutions exigeant une obéissance sans recours,  ou la prétention de décideurs d'être sans opposition. Puisque ce à quoi il est légitime de désobéir renaît constamment, la désobéissance doit être, elle aussi, une possibilité constante -ce qui varie, c'est le prix dont la paie : léger ici, absolu ailleurs.

Si on se réveille à temps (ce qu'on ne promet pas), on fera un saut à Plainpalais, demain...

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