Fonce, Alphonse, t'es chez toi chez nous...



"Il faut prendre l'argent chez les pauvres, ils sont plus nombreux que les riches" (Alphonse Allais, Conseiller d'Etat genevois)

Alphonse Allais est mort trop tôt pour obtenir le Prix Nobel d'économie auquel le destinait naturellement sa célèbre injonction de « prendre l'argent chez les pauvres, ils sont plus nombreux que les riches », règle sans conteste possible qu'une palanquée d'économistes patentés, voire eux-mêmes nobélisés, et de politiciens moins patentés et moins nobélisés mais tout aussi fidèles à l'injonction d'Alphonse, n'ont fait que reprendre, les uns en la vernissant d'un discours à prétentions scientifiques, les autres en la dissimulant de références à la dureté des temps, au respect des grands équilibres, à la nécessité de ne pas effrayer les gros contribuables et autres foutaises du même tonneau (des Danaïdes, le tonneau). Alphonse Allais n'a pas eu le Prix Nobel d'Economie. Mais il a fait mieux : mort depuis bientôt 110 ans, sa pensée immortelle irrigue le gouvernement genevois.


Salauds de pauvres !

Donc, prendre l'argent aux pauvres comme Alphonse le recommande (ironiquement) est d'actualité à Genève (sauf qu'on ne parle plus des « pauvres », on parle de la « classe moyenne inférieure », ça fait moins tache), comme en fait démonstration le projet de budget cantonal pour 2015 : suppression des subsides destinés à réduire les primes d'assurance-maladie (qui viennent de reprendre l'ascenseur) de gens qui ne peuvent pas les payer, réduction des prestations complémentaires AVS, réduction du supplément d'intégration pour les bénéficiaires de l'aide sociale, augmentation du « taux d'effort » financier des locataires des logements subventionnés... Tout ça pour des économies budgétaires de bouts de chandelles (moins de la moitié d'un pour-cent du budget). Et pour qu'on mesure bien l'ambition du programme politique de nos magnifiques Seigneurs Syndics (« des mesures courageuses, notamment dans le domaine social », selon le député PLR Cuendet), quelques petites mesquineries en plus, genre suppression des cadeaux aux centenaires ou de la gratuité du vote par correspondance. Fonce, Alphonse, t'es chez toi, chez nous...

« Si nous ne freinons pas aujourd'hui, nous irons droit dans le mur », a dit le président du gouvernement genevois pour justifier sa copie budgétaires. Si on ne freine pas quoi ? les dépenses pour les prisons ? celles pour la police ? pour la justice (mais pas la justice comme principe, la Justice comme appareil) ? pour les jetons de présence des députés ? Nan : les dépenses pour les vieux, les handicapés, les nécessiteux. Les pas rentables, quoi. Et le ministre des phynances (parce qu'Alfred Jarry aussi siège au Conseil d'Etat de Piogre) d'y aller de sa métaphore ubuesque : « le niveau trop élevé de notre dette est une épée de Damoclès qui nous empêche de relever sereinement les défis à venir ». Et le niveau trop bas des rentrées fiscales après la distribution de quelques centaines de millions de cadeaux fiscaux, et le « bouclier fiscal » (une épée, un bouclier, manque plus qu'un morgenstern...) ils empêchent quoi ? ben rien, c'est des cadeaux, ça empêche rien, c'est pas fait pour ça, c'est pour entretenir l'amitié...
Et puis quoi ? Qu'est-ce que vous avez encore à râler, les pauvres ? Comme dit le ministre de la Santé, les aides fournies par Genève aux moins riches de ses habitants « restent tout de même au-dessus de celles des autres cantons », alors attendez qu'elles tombent en-dessous de celles de la Somalie pour vous plaindre, bande d'ingrats, après tout ce qu'on fait pour vous... D'ailleurs, les prisons, c'est bien aussi un peu pour vous y accueillir qu'on va en parsemer le canton, non ?

La Tribune de Genève du 10 septembre relaie le reproche fait à la Conseillère administrative Esther Alder de « trop informer, en rappelant aux aînés l'existence d'allocations qu'ils oubliaient jusqu'ici de demander» alors qu'ils y avaient droit. Réplique d'Esther : Ce reproche, « c'est un comble  ! Ces prestations, que les aînés n'osent parfois pas demander doivent être connues »... Et puis quoi encore ? Tu le fais exprès de pas comprendre ce que c'est qu'une politique sociale moderne et efficiente ? C'est quand même pas parce que les gens ont des droits qu'il faut leur donner la possibilité de les exercer, non mais on va où, là, hein, si les gens connaissent leurs droits et en font usage ? Vers l'anarchie, carrément....

Salauds de pauvres !

Commentaires

Articles les plus consultés