«  Journée mondiale du refus de la misère » : La posture ou l'action ?

Samedi dernier, avec une semaine d'avance, le « Collectif 17 octobre » célèbraitg à Genève (sur le bateau « Genève », précisément, dès midi) la « Journée mondiale du refus de la misère ». Qui ne refuserait la misère ?  Or « refuser la misère », qu'est-ce que cela signifie, au juste, au-delà du sentiment ou de la rhétorique ? Par quelles actions, quels choix politiques, traduire ce refus ? Parce que c'est bien là que le bât blesse : tout le monde « refuse la misère » -mais tout le monde n'accepte pas de donner à ce refus les moyens, les instruments, les ressources, sans lesquels il n'est qu'une posture.


Les gens derrière les chiffres, les chiffres pour ne pas voir les gens

D'abord, les chiffres : ceux de la pauvreté, faute d'en avoir de la misère (faire cette distinction ne relève pas du jeu de mots : la misère est forcément absolue, la pauvreté est toujours relative; la pauvreté blesse, la misère tue -mais l'une mène à l'autre). La pauvreté, donc, en Suisse : un habitant de notre pays sur treize était touché par la pauvreté en 2012 : cela fait 600'000 pauvres (7,2 % de la population), qui ont un revenu disponible inférieur au seuil « absolu » de pauvreté, celui qui détermine la satisfaction minimale des besoins essentiels et qui est fixé à 2200 francs par mois pour une personne seule. Ce taux de pauvreté serait, selon l'Office fédéral de la statistique, en recul sur cinq ans (2007-2012, en passant de 9,3 % à 7,2 %), mais le même office reconnaît que le risque de pauvreté augmente : il touchait 1,2 million de personnes, soit 15,5 % de la population en 2012, contre 14,3 % en 2011.

Cela, ce sont les chiffres. Et puis,. derrière les chiffres, il y a les gens, et les actes politiques. Alors, un petit exemple local peut-être plus éclairant qu'un grand discours théorique ou qu'une batterie de statistiques : Le Conseil administratif de la Ville de Genève a demandé au Conseil municipal, et obtenu mardi soir, de lui accorder un crédit budgétaire de 900'000 francs pour financer un surcroît d'aide apportée aux plus pauvres des habitants de la commune, ceux qui reçoivent une aide sociale cantonale insuffisante à leur assurer un revenu leur permettant de vivre normalement. Cette aide municipale est un droit, dont les bénéficiaires potentiels hésitaient jusqu'à présent à faire usage (la moitié d'entre eux y renonçaient, ou ne savaient même pas qu'ils avaient ce droit). Ce droit, ils le réclament désormais (il seront plus de 4500 l'année prochaine à le faire) grâce une campagne d'information de la Ville. La droite municipale, qui contestait déjà cette aide en estimant qu'elle fait « doublon » avec les aides cantonales (alors qu'elle ne fait que les compléter parce qu'elles sont insuffisantes), a commencé par trouver «  injuste » que les pauvres de la Ville soient mieux aidés que ceux des autres communes. On devrait surtout trouver injuste que les pauvres du reste du canton ne bénéficient pas des aides nécessaires -non, ce que la droite municipale trouvait injuste, ce n'est pas que les autres communes ne fassent pas leur boulot, ou que le canton ne fasse que le strict minimum du sien, mais que la Ville assume ses responsabilités. Et par la voix du Conseiller municipal PLR (et candidat au Conseil administratif) Adrien Genecand), la droite ajoutait que de toute façon, 2000 francs de plus ou de moins par an, ça ne change rien à la vie de ceux qui le reçoivent. Ce qui en dit plus long sur la vie de ceux qui trouvent que ces 2000 francs ne changent rien que sur la vie de ceux qui y ont droit.

Puis la droite a changé de registre. Puisqu'il est à la fois périlleux politiquement de s'attaquer à l'aide sociale quelques mois avant des élections, et impossible de refuser le financement de cette aide puisqu'elle est un droit et non un octroi à bien plaire, la droite s'est attaquée à la méthode utilisée par la Conseillère administrative Esther Alder : demander un crédit supplémentaire de 900'000 francs (moins d'un pour mille du budget municipal) pour que tous les ayant-droit à l'aide municipale puissent la recevoir. Elle aurait pu accorder les aides sans demander au Conseil Municipal de l'y autoriser et se contenter d'en intégrer le coût aux comptes de l'année suivante -mais elle a joué la transparence. Frustrée de ne pouvoir décemment refuser le financement d'un droit (alors qu'elle n'avait cessé de nier que ce droit en fût un), la droite a bien dû, alors, se contenter de laisser, en bougonnant, la gauche assurer ce financement (quitte à le lui faire payer lors du vote du budget, en le compensant parf un rabotage ailleurs).

Au fond, qu'avait-elle à perdre à adopter cette attitude, la droite ?  Les populations les plus précarisées ne votent pas, ne sont pas organisées, n'ont derrière elle aucune organisation forte pour les défendre. Elles ne peuvent compter, pour accéder au minimum du minimum des droits sociaux, que sur l'action des collectivités publiques. Il n'y a pas de syndicat des sdf, pas de wwf des mendiants, pas d'Asloca des femmes battues.
Il y a seulement des forces politiques qui derrière les chiffres voient les gens et des forces politiques qui réduisent les gens à des chiffres. Et parfois, incidemment, localement, cette différence saute aux yeux de qui veut la voir.

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