Revenir sur les « cadeaux fiscaux » distribués à Genève : Impôt de gauche, impôt de droite ?


    
La coalition de la « gauche de la gauche » genevoise («Ensemble à Gauche») propose, pour équilibrer le budget cantonal, assurer le maintien des prestations sociales et réduire la dette du canton, de revenir sur les cadeaux fiscaux faits en 1998. La gauche, unie, avait déjà tenté en 2005 pareille effacement d'une connerie qui coûte très cher aux finances publiques, mais le corps électoral actif avait décidé de ne pas toucher aux cadeaux qu'il avait reçu (il est vrai que ce sont les couches sociales les plus aisées qui votent le plus, et les plus précarisées qui votent le moins). « Ensemble à Gauche » remet donc l'ouvrage sur le métier, et elle fait bien, parce que sa démarche relance, depuis la gauche,  un débat indispensable sur le rôle de l'impôt, et le choix à faire entre deux conceptions de l'« équilibre budgétaire » : calibrer les recettes à la couverture des dépenses (conception de gauche), ou calibrer les dépenses aux ressources fiscales existantes (conception de droite)...


Des allocations aux plus démunis, un opéra, des policiers municipaux, ça se paie....

Il y a donc deux conceptions de l'« équilibre budgétaire » et de la détermination de la charge fiscale : la première, celle de gauche, consiste à calibrer les recettes à la couverture des dépenses nécessaire pour assurer la concrétisation des droits sociaux et des activités de la collectivités publique, et la seconde, qui consiste à calibrer les dépenses aux ressources fiscales existantes, en considérant la charge fiscale comme devant être la plus basse possible. Et lorsqu'une collectivité publique se trouve face à un éventuel déficit budgétaire, ces deux attitudes, contradictoires sur le fond, se traduisent par des décisions politiques elles aussi contradictoires, dès lors que l'«équilibre budgétaire» est posé comme un dogme : pour l'assurer, la gauche augmentera les impôts sur le revenu et la fortune (et comme l'impôt est progressif, elle renforcera l'imposition des hauts revenus et des grosses fortunes), et la droite réduira les prestations de la collectivité publique. Ce qui ne l'empêchera pas d'ailleurs de réduire aussi l'imposition des plus aisés, pour, puisqu'elle aura privé la collectivité publique de ressources parfois considérables (à Genève,  dans la durée, cela se chiffre à plusieurs centaines de millions de francs), réduire à nouveau les prestations sociales. Ce cercle est parfaitement vicieux, et c'est d'ailleurs pour en sortir qu'«Ensemble à Gauche» propose aujourd'hui d'annuler, en partie (dès un revenu imposable annuel de 130'000 francs), quelques uns des cadeaux fiscaux accordés par la droite à sa propre clientèle électorale et à sa propre base sociale.
Le taux d'imposition ne doit pas être un tabou -ni, par conséquent, son augmentation, pour les contribuables parfaitement à même de la supporter. En cela, la proposition d'«  Ensemble à Gauche » de «diminuer la baisse d'impôt» accordée en 1998, et  la proposition du PS et de La Gauche d'abolir les forfaits fiscaux, ont une première vertu (outre celle de réalimenter les caisses publiques -de 150 millions de francs par année pour la proposition d'EàG) : elles relancent le débat sur la fiscalité, son rôle, sa signification politique. Comme le relancerait d'ailleurs, si nous osions la faire, la proposition d'augmenter d'un demi-centime additionnel l'impôt municipal en Ville de Genève, pour accorder huit millions de francs de plus par année aux caisses de la commune, afin d'équilibrer son budget, garantir ses prestations (en particulier dans le domaine social) et l'offre (notamment culturelle) qu'elle assure. Un référendum de droite serait immédiatement lancé ? Sans doute, et tant mieux, car l'impôt direct fut une conquête de la démocratie, que cette conquête mérite d'être défendue (ne serait-ce que parce qu'elle en a permis d'autres), et que ce débat vaut la peine de sortir des parlements.

Après tout, augmenter l'impôt municipal, ce serait poser aux citoyennes et citoyens une question simple : préférez-vous une augmentation de l'impôt direct ou une réduction des prestations sociales, culturelles, sécuritaires ? A question simple, réponse claire, de gauche ou de droite, pour des enjeux essentiel : le rôle de l'impôt, les tâches des collectivités publiques, la signification de la « solidarité fiscale ».
Car des allocations aux plus démunis, cela doit se financer. Un opéra, ça coûte. Des policiers municipaux en plus, ça se paie. Et quoi qu'en disait, en ricanant, Alphonse Allais, c'est bien là où est l'argent qu'on peut le trouver, pas dans les poches de ceux qui en manquent.

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