Ce que l'emploi de frontaliers fait gagner à Genève (et dont on se fout un peu, à vrai dire)...


Calculs d'apothicaires à Piogre

« Le Matin Dimanche » (le seul jour où ce canard est lisible) avait, il y a quelque temps, mené l'enquête sur l'apport des « frontaliers étrangers actifs » à Genève. Et les résultats de l'enquête sont sans ambiguïté (on a beau jeu de le reconnaître, puisqu'on avait toujours soutenu ce qu'ils confirment) : «  Genève profite plus qu'elle ne pâtit » de l'apport d'une main d'oeuvre frontalière. Le « Matin Dimanche » a tenté de chiffrer cet apport en bonne monnaie suisse bien de chez nous : 382 millions de francs par an, constitués par la contribution fiscale nette des frontaliers, leur contribution au financement de l'assurance-chômage, le cofinancement fédéral de projets qui n'obtiennent ce financement que s'ils sont transfrontalier, et enfin les économies de charge obtenues par le simple fait que ces salariés n'habitent pas sur le territoire cantonal, n'y ont pas été formés et que leurs enfants ne sont (sauf exceptions) ni scolarisés à Genève ni accueillis dans des crèches genevoises... Calculs d'apothicaires,sans doute.. Mais en harmonie parfaite avec un débat souffreteux, où le projet politique se réduit à des chipotages comptables.


De la «  préférence cantonale » comme succédané de la «  conception régionale »

Le Département genevois de l'emploi, des affaires sociales et de la santé (celui de Mauro Poggia, donc) a décidé d'étendre le concept, très MCG et donc très flou, très proclamatoire et très creux, de «préférence cantonale» aux entités autonomes subventionnées par l'Etat, en sus de l'administration et des grandes régies et entreprises publiques. C'est quoi, ce concept? C'est l'obligation de l'employeur d'engager, en cas de poste vacant, et à «  compétences égales », un chômeur genevois de préférence à toute autre candidature. Et c'est qui, un chômeur genevois ? c'est un chômeur résidant à Genève -du coup, l'UDC râle : c'est en effet préférer un (pfoui !) étranger résidant à Genève à un Suisse résidant à Annemasse... Mais la réalité qui s'impose, c'est celle de la région, pas celle du canton. Genève (le canton), c'est (en 2010) 240'000 personnes résidentes actives (chômeuses et chômeurs compris) pour occuper plus de 300'000 emplois... il faut donc soit aller chercher hors de Genève la population active manquante, soit supprimer des emplois. Dès lors 63 % des emplois genevois sont occupés par 190'000 résidents, 27% par 80'000 frontaliers (dont 16'700 ont la nationalité suisse), 29'000 par des « navetteurs » domiciliés dans un autre canton, dont 23'000 dans le canton de Vaud.

Sur les 44'000 employés de l'Etat de Genève (au sens large), les deux tiers résidaient sur le territoire cantonal et plus du quart en France, dont un sur dix étaient de nationalité suisse (salauds de frontaliers suisses qui piquent le boulot de bouc-émissaire des frontaliers français !) et si les services publics et les entités autonomes subventionnées engagent, et continuent d'engager, des frontaliers plutôt que des résidents au chômage, ce n'est pas par favoritisme ou fétichisme du « Grand Genève », c'est précisément lorsque les compétences et le profil des premiers correspondent mieux aux postes à pourvoir que celles et celui des seconds. Ce qui explique d'ailleurs pourquoi les entités concernées ne se formalisent pas de la mesure prise par Poggia  : elle ne changera strictement rien à la pratique actuelle de ces entités. Bref, c'est un enfoncement de porte ouverte, pour faire plaisir à l'électorat du MCG (et au MCG lui-même, plutôt en froid avec son ministre, trop centriste et trop gouvernemental à son goût).
La région, le « Grand » ou la « Grande » Genève est une réalité à laquelle il n'est pas plus possible de se soustraire aujourd'hui qu'au temps du Département du Léman (qui recoupait précisément, grosso modo l'espace de la « Grande Genève »). « La vraie frontière de Genève, celle que la nature avait dessinée avant que la politique ne se mêle de géographie, c'est le Salève et le Jura », déclarait François Longchamp en 2013 -mais l'actuel président du gouvernement genevois voyait petit : la vraie frontière de Genève est plus éloignée de Genève que là où il la place, elle est là où est la séparation entre la région que Genève détermine et la région déterminée par une autre Lyon, Grenoble ou Lausanne.

Surtout, la frontière, la limite, le périmètre, ne disent rien en eux-mêmes. Le choix n'est pas entre la région ou non, entre la « Grande Genève » transfrontalière ou la « Petite Genève » cantonale, il est entre une région laissée à la détermination par les « lois de l'économie » et le «marché» (y compris celui du travail) et une région construite par des méthodes démocratiques, non à partir de ce que Guy-Olivier Second qualifie fort justement de «projet brumeux, conduit par des institutions peu lisibles, en tout cas pas démocratiques, et qui n'est porté par personne ».

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