Où en est la gauche française (et donc genevoise) ?


Miroir, mon beau miroir...

Nous poser la question  de savoir où en est la gauche française -de toute la gauche française, entre reconstruction, rénovation, redéfinition et déréliction,   c'est un peu (beaucoup) se poser la question de savoir où nous en sommes nous-mêmes, ici, dans ce coin de pays : on n'échappe pas à une proximité séculaire entre les débats d'un côté du Jura et les débats de l'autre, dans quelque sens que se fasse l'inspiration et que se donne l'impulsion (il fut en effet un temps où c'est de chez nous que partaient les étincelles qui faisaient les Lumières). Et comme il y a contiguïté et continuité de la France à la Romandie, et tout particulièrement entre la France et Genève, dans le miroir que nous tend la gauche française, c'est bien nous que nous reconnaissons...


Le peuple, les partis, les pieds, les jambes, le sabot et la prothèse (nature politique morte)

A ma gauche (disons...) Jean-Luc Mélenchon, à ma droite (admettons...) Martine Aubry. Jean-Luc Mélenchon a annoncé qu'il quittait la co-présidence du Parti de Gauche pour fédérer un « nouveau dispositif de combat ». Les espoir mis dans le Parti de Gauche, et dans le Front de Gauche constitué autour de lui, des communistes et d'une constellation de partis et d'organisations de la « gauche de la gauche », ont en effet été sérieusement douchés par son incapacité à rassembler les « déçus du PS », et, pire, à empêcher le Front National de rafler la mise de la désespérance sociale. Quant à Martine Aubry, elle vient, à sa manière, de rejoindre le camp des « frondeurs » du PS (la gauche du parti donc) en plaidant, contre le social-libéralisme désormais ouvertement assumé par François Hollande, Manuel Valls et Emmanuel Macron, pour le retour à une politique clairement social-démocrate, anticyclique, fondée sur l'action de l'Etat. Car le clivage au sein du PS est bien celui-là : le social-libéralisme d'un côté, la social-démocratie de l'autre.
Mélenchon et Aubry prennent leurs marques, mais ce ne sont pas les mêmes. Aubry est héritière d'une tradition partisane et son projet n'est pas de rompre avec cette tradition mais de la retrouver. Mélenchon, lui, a désormais un modèle : la coalition espagnole Podemos, née du mouvement des « Indignés »,. Dès lors, renonçant à l'objectif de « fédérer la gauche », il rêve à celui de «fédérer le peuple», car, nous dit-il dans un entretien publié le 19 septembre dernier par Le Courrier, « la gauche en France est effondrée en tant que réalité culturelle, philosophique et politique » et le changement, dès lors, ne peut plus venir des partis politiques du système (il n'est d'ailleurs jamais venu d'eux, tout au plus ont-ils pu le récupérer), dont les coalitions de la « gauche de la gauche » font, au moins «objectivement», et souvent aussi subjectivement, partie, mais des mouvements populaires eux-mêmes, quitte à ce qu'ils accouchent de formations politiques réellement alternatives dans leur projet et  leur fonctionnement, comme Podemos en Espagne.

« La social-démocratie est finie parce qu'elle n'a jamais décroché d'un rapport privilégié avec la forme nationale du capital », alors que « le capitalisme de notre époque est transnational », assène Mélenchon. Aubry est de l'avis rigoureusement inverse : si les partis sociaux-démocrates sont abandonnés par leur propre base sociale, c'est précisément parce qu'ils ont décroché de leur ancrage national, de leur rapport au capitalisme national, y compris au capitalisme d'Etat -si le rapport privilégié de la social-démocratie l'était au capital national, c'est qu'il l'était à l'Etat. Il faut donc comprendre le requiem eécuté par Méluche, « il n'y a plus de social-démocratie nulle part dans le monde», comme le constat de l'abandon par les héritiers de la social-démocratie de ce qui était le coeur de son projet, et comprendre l'appel à un changement de politique lancé par Aubry comme la revendication d'un retour à ce proje : l'Etat acteur et régulateur économique, l'extension du domaine de la démocratie au champ économique. Un projet qui s'est réfugié dans les rangs des héritiers de la gauche révolutionnaire devenue social-démocrate en substitution de la social-démocratie défunte... ou de partis indépendantistes comme le SNP écossais ou les coalitions indépendantistes de gauche catalane et basque.

« Si nous devons commencer nos campagnes politiques en disant que nous sommes la vraie gauche et que les autres sont la fausse, le temps que ce catéchisme-là soit fini, nous serons tous morts », prévient Jean-Luc Mélenchon, qui admet honnêtement s'être livré à ce prêche, en admet non moins honnêtement l'inanité et veut désormais construire une gauche nouvelle en dehors des partis « du système » quand Aubry veut reconstruire l'identité de son propre parti : Ce sont deux démarches différentes, mais sont-elles si contradictoires qu'il semble ? On marche en tout cas bien mieux sur deux pieds au bout de deux jambes, que sur un seul sabot au bout d'une prothèse...

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