Débâcle d'Ecopop ? Xénophobie pas morte pour autant
Le résultat d'Ecopop est finalement conforme aux prévisions (il est
même plus mauvais que prévu) -mais il est néanmoins en trompe-l'oeil
: si la gauche a massivement voté contre l'initiative écoxénophobe,
la droite démocratique en a fait autant, et même une partie de sa
propre droite (de l'UDC, du MCG, de la Lega...), pour le même type
de raisons que celles la poussant à défendre les forfaits fiscaux :
parce qu'on en a « besoin », qu'on a « besoin » d'immigrants pour
faire tourner la machine économique et sociale comme on a besoin des
picaillons que laissent les forfaitaires dans les caisses publiques.
Au final, le score d'Ecopop correspond grosso modo à celui de la
droite de la droite et de l'extrême-droite en Suisse : un gros quart
de l'électorat. C'est beaucoup, et cela relativise l'«écoflop» de la
votation de dimanche : il tient probablement à la défection de l'UDC
et de ses satellites cantonaux, genre Lega ou MCG, qui ont refusé de
soutenir une initiative qui pourtant ne disait rien d'autre que ce
qu'ils disent, et continueront de proférer « c'est tout de la faute
aux étrangers ».
« Ecopop » sortie du paysage politique, on va peut-être pouvoir débattre vraiment de
la décroissance
Tout déprimés, les écopopistes n'en revenaient pas de leur
déculottée. Nous non plus, d'ailleurs : leur texte paraissait
s'inscrire si bien dans le vent mauvais soufflant sur les urnes
helvétiques qu'on lui prédisait un bon 40 % de suffrages et une
bonne demie-douzaine de cantons l'acceptant. Finalement,
l'initiative Ecopop perd la moitié des suffrages qu'avait obtenue
l'initiative de l'UDC contre l'« immigration de masse », et dans
deux seuls cantons, le Tessin et Schwytz, elle obtient plus du tiers
des voix.. On ne boudera donc pas notre plaisir de son écrasement.
On ne le boudera pas, ce plaisir, mais on le nuancera : le refus
massif de ce texte ne témoigne pas d'un recul de la xénophobie,
mais, pour une grande part, d'une volonté d'instrumentalisation
économique de l'immigration («ce que nous voulons, c'est une
immigration en fonction de nos besoins » sermonne le MCG -incapable
cependant de définir lesdits besoins). Le « non » à « Ecopop » ne
signifie pas un droit à l'immigration en Suisse, mais un droit de la
Suisse d'utiliser les immigrants, ce que le syndicat patronal des
PME, l'USAM, résume par un satisfait « la raison l'a emporté » et
que certains traduisent par un mandat donné au Conseil fédéral pour
sauver les « bilatérales », comme si le 30 novembre corrigeait, ou
relativisait, le 9 février, alors qu'on s'est contenté de ne pas
descendre plus bas...
Une partie des soutiens d'Ecopop la justifiaient par la nécessité de
« lancer le débat », sur la démographie. Ce débat a été lancé, mais
pour aboutir à quoi ? à une caricature, à une réduction de l'enjeu
démographique aux questions migratoires, et à une réduction du débat
sur la croissance (et la décroissance) à un débat sur la
démographie. « Les Suisses rejettent la décroissance », croit
pouvoir titrer Le Temps. Comme si c'était la décroissance qui leur
était proposée, alors qu'on ne leur proposait que de ne pas avoir à
partager la croissance avec d'autres, pour pouvoir continuer à
consommer, consumer, gaspiller et polluer comme on le fait
actuellement. Les véritables enjeux de la décroissance n'étaient
nullement portés par l'initiative malthusienne, pas plus qu'elle ne
portait les enjeux de l'aménagement du territoire, de la politique
des transports, de l'énergie. Ni sur ce qui adviendrait d'un
environnement planétaire si ses huit milliards d'habitants se
comportaient comme le petit millième d'entre eux qui habitent en
Suisse, et dont la majorité n'entend rien changer à son mode de vie.
« Une croissance continue de la population mondiale est physiquement
impossible », déclare Philippe Roch, partisan d'Ecopop. Mais alors
pourquoi l'avoir agitée comme un épouvantail, évoquer « le
développement à outrance de la population » et soutenir une
initiative dont le même Roch reconnaît après son naufrage qu'elle «
n'était manifestement pas la bonne réponse au problème de la
croissance débridée » ? Et de regretter que le débat sur la
croissance n'ait pas pu être mené à la faveur de celui sur Ecopop,
comme si Ecopop se prêtait à autre chose qu'au réveil des paranoïas
tribales...
« Ecopop » sortie du paysage politique, on va peut-être pouvoir
parler vraiment de la décroissance. Pas de celle de la population,
ou de l'immigration, mais de celle de la consommation et du
gaspillage. On en aura l'occasion en 2016, lorsque seront soumises
au vote l'initiative des Verts qui exige une réduction de l'«
empreinte écologique » de la Suisse et l'initiative de la Jeunesse
Socialiste qui interdit les produits financiers dérivés portant sur
des matières premières agricoles. Ces initiatives-là, au moins,
posent les bonnes questions. Contrairement à Ecopop, qui ne donnait
que des réponses absurdes à des questions qu'elle ne posait pas, et
s'est ainsi attirée la réponse qu'elle méritait : une baffe.
Qu'on savoure : on n'a plus si souvent que cela l'occasion de
célébrer dans ce pays la défaite d'une initiative xénophobe.
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