La « Charte des socialistes pour le progrès humain » : Un engagement ou un exorcisme ?


Les socialistes français ont adopté une nouvelle charte (la « Charte des socialistes pour le progrès humain ») pour rassembler les troupes après une succession de défaites électorales, rappeler ce qui constitue l'identité d'un parti socialiste après un « virage social-libéral » aux effets dissolvants, et  l'ancrer rhétoriquement à gauche après une série de décisions laissant planer un lourd doute sur la solidité de cet ancrage. « Ce n'est pas une révolution » programmatique, concède le Premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis. En effet. Même pas une réforme, d'ailleurs. Un exorcisme, ou une piqûre de rappel, tout au plus, dans la fesse (gauche) d'un malade à qui il faut proclamer que « socialistes, nous sommes fiers de nos valeurs » parce qu'il doute de leur respect par ceux qui ont pour fonction de les incarner, et dont l'un (Manuel Valls) proposait au PS de changer de nom pour n'être plus qu'une sorte de rassemblement « de toutes les forces progressistes » -ce à quoi Michel Rocard avait répondu que « changer le nom du PS, c'est le couper de son histoire ». Ce qui suggère tout de même que de son histoire, il ne s'est pas encore coupé.

... le plaisir d'être au pouvoir, la plainte de n'y pas être ou le désir d'y accéder...

Pour Michel Rocard, le PS français « vit l'une des crises les plus profondes de son histoire », qui n'a pas été avares de crises, au point qu'il a fallu le refonder trois fois en un siècle : après la scission communiste du Congrès de Tours, à la Libération et après mai 68, sur les ruines de la SFIO. La «Charte» adoptée par les militants n'est pas celle d'une refondation (le parti n'en est pas encore là -s'il ne tient peut-être encore debout que parce qu'il est au pouvoir), mais celle d'un rappel de son existence. Encore faudrait-il que ce rappel contienne aussi des éléments d'émancipation de son statut de parti du président et du gouvernement... or la « Charte » n'est pas un texte de rupture mais de synthèse : pour satisfaire l'aile gauche on rappelle qu'elle est celle d'un parti socialiste et non d'un rassemblement «progressiste», pour éviter la rupture avec Martine Aubry on réaffirme la stratégie d'alliance avec les Verts et on parle même d'« éco-socialisme », pour ne pas fâcher l'aile droite on abandonne la revendication d'une réduction du temps de travail... et pour rassurer tout le monde on ne remet nullement en cause le choix, que le PS français partage avec tous les partis sociaux.démocrates, de privilégier l'Etat comme acteur du changement social, la conquête du pouvoir d'Etat comme objectif historique et le peuplement de l'appareil d'Etat comme pratique constante.

Les partis sociaux-démocrates se sont identifiés à l'Etat, avec pour conséquence une perte considérable d'autonomie d'action et même de réflexion à son égard. Partis gouvernementaux,  ils réussissent à l'être même quand ils sont dans l'opposition dès lors qu'ils n'aspirent qu'à en sortir, et ils le restent même lorsqu'ils critiquent ou combattent les gouvernants en place, dès lors qu'ils n'aspirent qu'à les remplacer. Cette déférence à l'égard de l'Etat en tant que tel, cette utilisation respectueuse des institutions, paralyse ces partis et les transforment en quelque chose comme des structures supplétives de l'appareil d'Etat. Et cela va jusqu'à l'autocensure politique : chaque tentative de concevoir un  projet de changement radical des institutions, ou des pratiques politiques, ou des cadres législatifs, se heurte à une censure interne: «c'est pas légal», « on ne peut pas le faire », «  ça ne passera jamais » -comme si nos adversaires avaient tous ce genre de scrupules, comme si l'UDC se préoccupait de la « faisabilité » des initiatives qu'elle lance (et fait aboutir), comme si le MCG se préoccupait de la crédibilité de ses prises de position...

Paralysante, cette situation des partis socialistes n'est toutefois pas une fatalité -mais il leur revient d'en sortir par eux-mêmes. Et d'en sortir, paradoxalement, non par le haut mais par le bas : en redescendant là où ne se font pas les lois mais où se construisent les rapports de force : dans les communes, dans la rue et dans les entreprises (et peut-être aussi dans ces lieux qui ne sont pas des lieux, cet espace virtuel que dessinent les réseaux sociaux) -bref, partout ailleurs que dans les sommets des appareils d'Etat. Il s'agit bien de retrouver un fonctionnement et une présence extra-parlementaires, de ne plus faire du succès parlementaire possible d'un projet le critère principal dans le choix de ceux que l'on va présenter, et dans leur élaboration. Un parlement, d'ailleurs n'est pas seulement un lieu de décision : il est aussi une tribune du haut de laquelle on se fait entendre.

A condition bien entendu d'avoir à y dire quelque chose d'autre que le plaisir d'être au pouvoir, la plainte de n'y pas être ou le désir d'y accéder.

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