Message de Berne à Genève : Il n'y a pas eu de génocide des Arméniens en 1915...


De la pleutrerie au négationnisme

Le Ministre suisse des Affaires étrangères, et par ailleurs encore président de la Confédération, Didier Burkhalter, s'est fendu d'une lettre au Conseil d'Etat genevois pour lui recommander de ne pas accorder à la Ville de Genève l'autorisation d'ériger dans un parc de la Ville, à proximité du Palais des Nations un mémorial des génocides du XXe siècle, et en particulier (mais seulement en particulier, parce qu'il n'a pas été reconnu par les héritiers de ses auteurs) du génocide des Arméniens -qu'on commémorera en avril prochain, un siècle après qu'il fût commis. Le Conseil fédéral suisse se fait ainsi le commis d'un gouvernement turc (et de ses porte.valises et porte-plumes locaux, dont, détail amusant, le MCG...), au prétexte que le mémorial des génocides, prévu pour être installé à proximité des organisations internationales, pourrait gêner quelques diplomates et fonctionnaires internationaux. Ainsi la pleutrerie conforte-t-elle le négationnisme.

Ce qui fut commis ne s'efface pas en interdisant ou en calfeutrant ce qui le rappelle.

Wn 2015, la Turquie officielle, celle du président Erdogan, de son gouvernement et de son parti, l'AKP, commémorera le centenaire de la seule victoire turque de la Grande Guerre, celle des Dardanelles, de la presque-île de Gallipoli et de Canakkale. Et fera silence sur le génocide des Arméniens. Ainsi l'histoire se réécrit-elle : par la célébration des victoires et le silence sur les crimes. Le génocide est un crime de vaincus -il faut que les nazis perdent la guerre, que les Khmers Rouges soient chasséss par l'armée vietnamienne et les extrémistes hutus par le FPR tutsi, pour que leurs actes soient qualifiés de ce qu'ils furent. Les massacres coloniaux ne sont pas reconnus comme des génocides, non parce qu'il leur manquerait quoi que ce soit pour l'être, mais parce que les Etats qui les ont commis, ne pouvaient être condamnés puisqu'ils n'avaient pas été vaincus, ou que, l'ayant été tout de même, il n'était pas dans l'intérêt de leurs vainqueurs de leur faire payer le poids de leurs crimes. Tel est le cas de la Turquie, après 1918 -car ce n'est pas la Turquie qui fut vaincue en 1918, c'est ce qui restait de l'Empire Ottoman -non la Turquie de Mustapha Kemal et de ses successeurs, née des cendres de cet empire, et refusant d'en assumer les actes lorsqu'il leur convenait de le refuser, sans que nul ne s'en scandalise, sinon les Arméniens, rescapés du génocide et exilés ou citoyens de l'Arménie soviétique, dans le camp de l'Adversaire majuscule.

Les négationnistes turcs du génocide arménien ont ainsi depuis des décennies eu partie facile. Même en Suisse. La Ville de Genève avait décidé, sur mandat de son Conseil Municipal unanime, d'ériger une installation commémorative, non seulement du génocide des Arméniens (et des autres génocides du XXe siècle), mais aussi des relations séculaires de Genève avec l'Arménie.  Ce geste de la Ville n'avait pas été du goût d'une association négationniste turque, qui tempêtait pour que la Ville renonce à ce travail de mémoire, avait recruté le MCG pour l'y aider et en avait déjà, il y a deux ans, appelé au gouvernement fédéral suisse pour cela. Aujourd'hui, le gouvernement fédéral en appelle au canton pour qu'il refuse à la Ville l'autorisation d'installer le mémorial prévu. On commencera donc, pédagogiquement, par rappeler aux uns et aux autres que si le Conseil fédéral est le gouvernement de la Suisse et que ce gouvernement est en charge de la raison d'Etat, la Ville de Genève, les communes ne portent pas cette charge mais peuvent porter celle du travail de mémoire.
Ce ne sont pas les Turcs d'aujourd'hui qui sont coupables du génocide de 1915. Ils n'en portent la souillure que parce qu'en leur nom ce crime est nié par des groupes négationnistes qui parasitent le travail de réconciliation.  Ce n'est pas le gouvernement turc de 2014 qui a commis le crime de 1915. Il n'en porte la responsabilité que parce qu'il refuse de le reconnaître. La réconciliation entre les peuples d'Arménie et de Turquie se fera, malgré les négationnistes. Elle se fait d'ailleurs déjà : Les Kurdes de Turquie, les Alévis et de plus en plus d'intellectuels et d'artistes turcs montrent l'exemple. La réconciliation entre les peuples, c'est l'affaire des peuples. C'est aussi l'affaire des historiens, des organisations culturelles et politiques, et même religieuses, que la rendre possible, mais cela suppose la reconnaissance de ce qui entrave cette réconciliation : le refus de voir la réalité passée en face, le refus d'admettre le crime passé.

Ce qui fut commis ne s'efface pas en interdisant ou en calfeutrant le mémorial qui le rappelle. Le combat des négationnistes n'est pas seulement un combat odieux, c'est aussi un combat absurde, parce que déjà perdu. Ce que les Kurdes, les Alévis, les démocrates turcs ont déjà reconnu, la Turquie officielle le reconnaîtra aussi, malgré les cadavres politiques réunis autour du catafalque d’Atatürk, et malgré leurs relais en Suisse, pour nier à la fois la justice et l'évidence.
Un mémorial du génocide sera inauguré à Genève. Peut-être pas là où la Ville voulait l'implanter, mais, tout de même là où ceux qui n'en veulent pas ne pourront éviter de le voir.

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