An nouveau : les (pas) bonnes résolutions du Dugong


   
On fait comme on a envie

Au prétexte calendaire d'un début d'année, comme si un chiffre changeant sur un millésime changeait quelque chose, il est convenu (mais par qui ?) que nous prenions de "bonnes résolutions"... On se prêtera donc à ce rite, mais de fort mauvaise grâce; déjà que pour nous, le Nouvel-An, c'est le 22 septembre, premier jour de l'année dans le calendrier républicain, et pas ce foutu 1er janvier où la ville est morte et les foies épuisés... "Je hais ces nouvel an à échéance fixe qui font de la vie et de l’esprit humain une entreprise commerciale avec ses entrées et sorties en bonne et due forme, son bilan et son budget pour l’exercice à venir"... c'est Gramsci qui l'écrit, le 1er janvier 1916 dans l’Avanti !... Il faut toujours relire Gramsci. Et faire comme on a envie de faire.



"On finit par croire sérieusement que d’une année à l’autre (...) commence une nouvelle histoire, on fait des résolutions et l’on regrette ses erreurs etc. etc." (Gramsci, encore)... Donc, ici, pas de "bonnes résolutions" : On ne prendra ni celle d'arrêter de fumer pour engraisser les vendeurs de vaporettes, ni celle d'arrêt de picoler pour engraisser les vendeurs de sodas, ni celle de cesser de bouffer de la viande pour complaire aux défenseurs des animaux que les animaux n'ont jamais mandatés pour les défendre, ni celle de se coucher de bonne heure et de se lever avec les poules pour faire comme les vieux, ni celle de passer son permis de conduire pour faire comme tout le monde faisait il y a vingt-cinq ans, ni celle de s'apparier pour pouvoir ensuite s'offrir le plaisir du "divorce en dix jours" qui vient de sortir sur la marché genevois de la conjugalité foireuse. Foin de tout cela : on ne prendra que les résolutions qui nous conviennent. Parce que ce sont les seules qu'on ait envie de tenir. Et même les seules qu'on se sent capables de tenir. On ira même jusqu'à vous proposer de les partager avec nous.

Il y a quelque temps, nous fûmes de ceux qui, "pour en finir avec la gauche caviar", lancèrent sur le marché déjà fort encombré de la critique de gauche de la gauche, la "Gauche Anchois", que nous destinions à rester d'une confidentialité élitaire confinant à la conspiration aristocratique. Las ! Par maladresse, cette phalange reçut de quelques media une publicité malencontreuse, qui nous convint de procéder, sans regrets, à sa dissolution. Mais, orphelins d'un réseau de comploteurs ricanants, nous ne nous résolvions pas à son absence. Et c'est ainsi qu'après une fugace tentative de créer une "gauche pingouin", que nous finîmes par reconnaître condamnée par le réchauffement de la planète et la fonte des banquises, nous procédâmes à la création de la "Gauche Dugong", dont le prestige depuis ne cesse de croître, certes souterrainement (ou plutôt subaquatiquement), mais en proportion de la crainte (justifiée) qu'elle suscite. Car l'état des choses politiques rend urgente l’émergence d'une pensée à la fois radicale et cohérente (dans son incohérence même) : la nôtre, forcément. Et que n'ayant ni programme, ni perspectives, la Gauche Dugong n'a ni agenda, ni défis à relever, mais tout l'avenir pour elle. Car son passé est glorieux : En 2009, un site rituel composé des restes d'une quarantaine de dugongs, le sanctuaire d'Akab, a été découvert à Umm al-Quwain, aux Émirats arabes unis. Il a été daté de 3500 à 3200 avant Jesus Christ. La Gauche Dugong précède donc tous les monothéismes. Elle est fondatrice de toutes les conceptions non-cycliques de l'histoire, et donc de toutes les espérances d'enfin prendre l'histoire en mains. Ou en nageoires.

Le dugong formant aujourd'hui la seule espèce de son genre et de sa famille (les dugongidés), la Gauche Dugong est donc la seule espèce et la seule famille de la gauche encore capable de ce ricanement autocritique (le barbarouffement) indispensable à la survie de toute espèce et de toute famille politiques. Quand la Gauche Dugong barbarouffe, c'est que la gauche a fait une connerie. C'est dire si la Gauche Dugong barbarouffe souvent. En fait, elle passe son temps à barbarouffer, la Gauche Dugong. Tapie dans les bas fonds de la politique locale, elle regarde frétiller les bancs de candidats en ordre de bataille pour les frais électoraux du printemps et de l'automne. Il lui arrive même de s'y glisser, en ces bancs frétillants, non sans doucement barbarouffer entre ses algues, en contemplant d'un mufle rigolard le mouvement brownien qui agite ceux qui sont prêts à tout pour revenir au parlement comme ceux qui sont prêts à tout pour y rester. Car la Gauche Dugong nage à contre-courant. Et pas seulement pour frayer.
Voilà. Le temps de ce premier billet d'une année dont de tous côtés (même du nôtre) on nous annonce décisive, nous avons levé un pan du mystère sur notre identité politique. Et ce sera tout ce que vous en saurez. Autant dire que vous n'en saurez pas grand chose.
Mais prenez garde, tout de même, aux gens qui comme nous feignent de ne pas se prendre au sérieux : sous l'autodérision, il y a toujours, plus solide qu'elle, de l’orgueil...

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