Petit débourrage de Champ-Dollon : quand on veut, on peut...


Pourvu que ça dure...

Quand on veut, on peut (et si on disait ne pas pouvoir, c'est qu'en fait on ne voulait pas) : en cinq mois, le nombre de détenus dans la prison genevoise, surpeuplée, de Champ-Dollon, a diminué de 18 % et est revenu à son niveau de décembre 2012, en passant de plus de 900 détenus à la mi-août à 734 détenus le 6 janvier. Toujours pour 387 places, il est vrai, ce qui signifie que la prison est toujours surpeuplée, mais qu'elle l'est moins qu'avant. Maigre progrès, mais progrès tout de même. Acquis comment ? en faisant ce qu'on assurait ne pas pouvoir faire : en cessant de bourrer la prison avec tout ce qu'on ramasse dans la rue comme petits délinquants et comme étrangers en situation irrégulière. C'est un (bon) début, mais ce n'est qu'un début : d'une année sur l'autre, en moyenne, le nombre de détenus continue à augmenter (comme ailleurs en Suisse). Et si la surpopulation carcérale de Champ-Dollon se réduit, c'est aussi parce que quand on a atteint la barre des 900 détenus et qu'on on a craint l'explosion, on a transféré une partie des détenus dans d'autres lieux d'enfermement. Le choix, décisif, d'une autre politique pénale reste donc à faire. Et les réflexes carcéromaniaques à défaire.

« On ne peut pas créer des prisons au détriment du social »

L'Association des Juristes Progressistes avait dû requérir l'intervention du préposé cantonal à la protection des données et à la transparence pour, peut-être, pouvoir consulter la fameuse « directive Jornot » qui permet, sous prétexte de lutte contre la petite délinquance et la récidive, d'emprisonner des étrangers au seul motif que leur séjour en Suisse est irrégulier. Le Procureur général avait refusé cette consultation, mais le préposé LIPAD a rendu par deux fois une recommandation en faveur de la requête de l'AJP -une recommandation qui n'est pas une décision, et sur laquelle le Ministère Public devait prendre position. On s'interroge sur l'obstination mise à ne pas rendre cette directive publique, au prétexte que cette publicité serait « une entrave aux processus décisionnels et une atteinte au déroulement des enquêtes » et « affaiblirait la position du Ministère Public et, partant, la sécurité publique». Qui, selon le Procureur Général, ne pouvait donc être garantie que dans l'opacité des conditions de l'action judiciaire et policière, afin que n'apparaisse pas son caractère disproportionné et, qu'il devienne pas évident qu'on a injustement incarcéré des « sans papiers »... La « directive Jornot », qui semble donc avoir été assouplie, sans tambours ni trompettes, ne permettait pas seulement d'expédier à Champ-Dollon des gens qui n'ont commis qu'une infraction à la loi sur le séjour des étrangers, elle permettait aussi (et sans doute le permet-elle encore) d'y expédier des gens qui, n'ayant commis que des délits mineurs (du genre consommation de cannabis...), n'encourraient qu'une amende s'ils avaient l'heur d'être Helvètes, et ne se retrouvent en prison que parce qu'ils sont étrangers -ce qui est certes un crime aux yeux de certains, mais pas encore aux yeux de la loi.

Cela étant, sur le fond, la politique pénitentiaire genevoise, fondée sur la multiplication des lieux de détention plus ou moins spécifiques, n'a pas changé -contrairement à nombre de celles et ceux chargés de la mettre en oeuvre : Après le directeur de Curabilis et une bonne dizaine de démissions, déplacements, révocations, licenciements, des mouvements de grève du personnel et une mutinerie des prisonniers, la directrice de l'Office cantonal de la détention vient de se barrer pour devenir directrice générale adjointe des hôpitaux universitaires. Le président de la commission nationale de prévention de la torture, Jean-Pierre Restellini, ancien Médecin-chef de Champ-Dollon, résume : « Le boulot de directeur de prison est devenu un véritable enfer », dans une société qui attend de la prison à la fois « qu'elle mette hors d'état de nuire des personnes dangereuses » et qu'elle prépare leur réinsertion, sans que soient donnés aux prisons les moyens (notamment humains) que cela exige. Sur les responsables des lieux de détention pèse en outre une tutelle politique qui ne cesse d'intervenir dans la gestion des établissements, tout en transformant leurs responsables en fusibles que l'on fait sauter en cas de crise, pour préserver leur tutelle.

Dénonçant, avec le Cartel intersyndical de la fonction publique, le projet de budget cantonal présenté par le Conseil d'Etat genevois, le président du syndicat des policiers (UPCP), Christian Antonietti déclarait : « On ne peut pas créer des prisons au détriment du social. Avec cette politique, on va les remplir très vite ». Excellent résumé, camarade... Mais quand un Conseiller d'Etat (Antonio Hodgers) manifeste avec quelques dizaines de militant-es de gauche contre la construction de 168 places de détention administrative et la transformation de Genève en hub romand d'expulsion des étrangers, un député PDC se plaint qu'«Antonio Hodgers (soit) toujours le militant de son propre parti . Est-il donc tenu de l'être du PPPPP (Parti des Producteurs Pulsionnels de Prisons Partout), comme ses collègues du PDC, du PLR et comme le Procureur général ?

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