Vote des budgets publics genevois : Comme ça, au moins, c'est clair...


 
Il aura fallu, au Grand Conseil comme au Conseil Municipal, deux jours en décembre dernier pour accoucher d'un budget. Avec des majorités inverses pour des budgets politiquement contradictoires -mais au moins, c'est clair : le budget cantonal genevois 2015 est un budget de droite, voté par la droite, contre la gauche (ce ne fut pourtant pas faute, pour le PS et les Verts, de tout tenter, même l'illusoire, pour le rendre acceptable, sans y parvenir -« il n'est pas nécessaire d'espérer pour entreprendre...»), et le budget municipal genevois 2015 est un budget de gauche, voté par la gauche contre la droite (quoi qu'il en soit du retournement de veste du MCG, sentant le vent venir et soucieux, au parlement municipal comme au parlement cantonal, de se retrouver du bon côté du vote, histoire sans doute de disputer, et de ravir, au PDC le titre envié de roi de la girouette politique). Evaporé, le « centre », dissout, le « ni gauche, ni droite » d'un MCG franchisé par les affairistes. Une gauche, une droite. Ne reste plus qu'à rassembler la première contre la seconde, dans les parlements, et hors des parlements.

Il y a tout de même dans notre histoire commune quelques moments d'intelligence politique...

Le budget 2015 du canton est calamiteux ? les suivants seront pires et la majorité parlementaire et gouvernementale cantonale restera la même pendant encore quatre ans : elle s'apprête notamment à réduire d'un demi-milliard les rentrées fiscales, au prétexte notamment de la réforme de la fiscalité des entreprises. A qui donc croyez-vous cette majorité adressera la facture de ce siphonnage des caisses publiques ? A ceux à qui elle distribue depuis des années des cadeaux fiscaux qui ont lourdement plombé tous les budgets publics ? Vous rêvez... Or la seule recette assurée d'un budget, c'est l'impôt. La seule raison des déficit genevois, réels ou annoncés, ce sont les cadeaux fiscaux, et la seule proposition sérieuse de couverture de dépenses nouvelles, sans restrictions d'autres dépenses, sans bricolage comptable, sans invention de recettes hypothétiques ou virtuelles, c'est l'augmentation de l'impôt (ou sa restauration) -mais qui, à gauche, aura, aurait, aurait pu avoir, le courage (ou l'inconscience), à quelques mois des élections municipales, de proposer une augmentation de l'impôt municipal pouvant être attaquée par référendum populaire ? Personne. Pas même nous.

Le vote des budgets publics genevois ne tient ainsi ni de la fatalité, ni de l'accident : le gouvernement et le parlement sont à la fois le produit et les lieux d'un rapport de force entre la gauche et la droite. Le produit, d'abord : celui du rapport de force électoral. La majorité cantonale « à droite toute » qui règne sur le parlement et domine le gouvernement n'est pas venue au pouvoir par un putsch, elle est sortie des urnes -et les perdants d'une élection sont tout de même largement responsables de leur défaite -et nous, donc, de la nôtre. Pour autant, le parlement et le gouvernement ne sont pas les seuls lieux politiques :  la rue, les entreprises, les media, les lieux culturels, en sont aussi. Et les élections ne sont pas les seuls actes politiques constitutifs du rapport des forces entre la gauche et la droite :  les manifestations, les grèves, en sont aussi. Minoritaires au parlement et au gouvernement, nous pouvons donc, à condition de le vouloir, être majoritaire là où se construit le rapport de force social et politique dont les résultats électoraux ne sont que la traduction.  

La gauche cantonale a quatre ans pour redevenir une alternative au bloc de droite. Et la gauche municipale quatre mois pour le rester. Si elle s'en donne les moyens, est capable de les utiliser, et surtout, puisqu'elle a en face d'elle un bloc de droite allant du PDC au MCG, si elle arrive à constituer une alliance crédible, entre des forces qui ont forcément entre elles des divergences puisqu'elles ne forment pas une organisation unique (laquelle ne ferait d'ailleurs qu'importer les divergences qui séparent ses diverses composantes), mais qui ont au moins des objectifs, des revendications et un adversaire commun. Et pour celles qui sont issues du mouvement ouvrier, une histoire commune.
Il y a quatre-vingt ans, en France face à la montée des ligues d'extrême-droite et à la connivence tissée entre elles et une partie de la droite traditionnelle, communistes, socialistes et radicaux (« radicaux-socialistes », à l'époque...) conclurent un « Front Populaire »... Ils n'avaient pourtant cessé de s'affronter pendant les quinze ans qui précédaient, s'accusant réciproquement des pires turpitudes et se vouant réciproquement aux plus sinistres gémonies... Il y a tout de même dans notre histoire de ces moments d'intelligence politique desquels nous devrions tirer quelques enseignements... à commencer par celui-ci : la force d'une coalition politique tient pour beaucoup de la faiblesse de ses adversaires...
Et la force de la droite aux faiblesses de la gauche.

   
MAIS QUE FAIT LA POLIS ?

  On en a passé, des heures, avant noël, au Conseil Municipal et au Grand Conseil, à accoucher des budgets de la Ville et du Canton... A force, si on n'avait pas la conscience politique coulée dans les neurones et l'idéologie émulsionnée dans le sang, on en aurait presque oublié que si les parlements sont bien des lieux politiques, ils ne sont pas les seuls, qu'ils ne sont même que l'espace où se traduisent toutes les actions politiques menées ailleurs, et que ce qu'on y fait (et ce qu'on y dit, mais les parlements sont de ces lieux où "dire", c'est faire"...) ne remplace pas ce qu'on a à faire ailleurs.
Mais bon, c'est tout le même là que se prennent des décisions, et il n'est pas sans importance ni sans effet que les majorités qui font les votes, et les projets sur lesquels elles se prononcent, soient de gauche ou de droite.

Or donc, en Ville, c'est le budget de l'exécutif de gauche qui a été adopté au Conseil Municipal, par la gauche (le MCG volant au secours de la victoire -on n'avait pas besoin de ses voix- et votant à la 23ème heure, sans être capable d'expliquer pourquoi, un budget qu'il avait vilipendé pendant les 22 heures précédentes). Au Grand Conseil, à quelques ripolinages près, c'est le budget de la droite, élargie à son extrême, qui a été voté. Gominator se rengorgeait, après la constitution d'une majorité parlementaire de toute la droite, incluant son propre parti (ce qui ridiculise définitivement au passage sa posture "ni gauche, ni droite"...) : il y voyait le moyen de pousser la gauche hors du jeu politique et proclamait fièrement "nous faisons et défaisons les majorités"... Comme si le jeu politique ne se jouait qu'au parlement... et comme si, au parlement même, quand aucune coalition n'est majoritaire, n'importe laquelle ne pouvait pas "faire et défaire les majorités"...

De toute façon, vu le rapport de forces au Grand Conseil, le choix n'était guère offert à la gauche qu'entre une figuration idiote ou une figuration intelligente. Entre tenter de "resocialiser" autant que possible un budget calamiteux en espérant modestement qu'il le sera un peu moins, et tirer la conséquence politique d'un rapport de force rendu désastreux, ou un "front républicain" rendu impossible (à supposer qu'il ait un sens sur un budget) par le frai du PLR et du MCG...
Quant aux citoyennes et citoyens, ils ont le choix, puisqu'un parlement est aussi un théâtre, d'y être soit des spectateurs passifs, soit des spectateurs qui montent sur la scène et mettent le souk dans la pièce... Le choix d'être devant du Courteline ou dans du Brecht.
Mais le parlement n'est pas LE lieu de la politique. Il est le lieu d'un rapport de force politiques qui se construit hors de lui, et dont il est la conséquence, et la réduction. Surtout la réduction. L'étymologie des mots n'est d'ailleurs pas, comme souvent en politique, sans aider à les comprendre  : l'espace de la politique, ce n'est ni le parlement, ni, et encore moins le gouvernement : c'est la Polis, c'est la cité, c'est l'Agora. Autrement dit : la rue. Et aussi le lieu de travail. Et aussi les media.
La question n'est dès lors plus de savoir ce qui peut se faire dans l'enceinte parlementaire cantonale, mais ce que fera la Polis. Et ce qu'on sera capable de l'aider à faire pour qu'au moins la commune ne soit pas à l'image du canton

Bref, citoyennes, citoyens : vive la Commune !

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