Aujourd'hui, Journée d'action mondiale en défense du droit de grève :
Le dernier des droits quand on a perdu tous les autres ?


A l'appel de la Confédération syndicale internationale, aujourd'hui est une une journée d’action mondiale en défense du droit de grève. Un droit si fondamental qu'il est le dernier des droits collectifs dont on puisse user pour résister lorsque tous les autres ont été abolis et qu'on ne s'est pas encore résolu à la lutte armée, et qu'il est aussi le premier que les dictatures abolissent et qu'en démocratie, les tentatives de le rogner, le conditionner, le soumettre à autorisation, le monnayer, même. Entre 17h et 18h, à l'appel de la Communauté genevoise d'action syndicale et du Cartel intersyndical du personnel de l'Etat, un rassemblement de défense du droit de grève se déroulera au Parc Saint-Jean, à côté du siège de la Fédération des entreprises romandes (un rassemblement avec le même objectif est organisé pour les salariés des organisations internationales, à midi, place des Nations). Les syndicats entendent ainsi protester contre les attaques au droit de grève perpétrées, localement, par le patronat genevois (et relayées par ses porte-flingues politiques habituels, ou plus récents, comme le MCG) et, internationalement, par les représentants du patronat (et de certains Etats) au sein de l'Organisation Internationale du Travail.

Permanence de l'essentiel : le droit de grève
   
Le mois dernier, à Lausanne, en collaboration avec l'Association pour l'étude de l'Histoire du Mouvement Ouvrier, le Musée cantonal vaudois d'archéologie et d'histoire présentait une émouvante exposition de drapeaux syndicaux et de documents les replaçant dans leur contexte. Est-ce à dire que le syndicalisme relève de l'archéologie et les luttes syndicales de l'histoire ? La récente grève des Transports Publics Genevois prouve que non -mais elle prouve aussi la persistance des réflexes antisyndicaux, non seulement au sein du patronat, mais aussi au sein de l'appareil d'Etat.
Certes, aujourd'hui, dans l'imagerie syndicale, les logos ont pris le pas sur les emblèmes, les banderoles sur les drapeaux et les slogans sur les devises. Mais rien n'a pris le pas sur le droit de grève comme droit fondamental, et sur l'organisation autonome des travailleurs comme instrument de la conquête et de la défense de leurs droits -on dira aujourd'hui "des salariés" pour faire moins peur, mais on n'en pensera pas moins -du moins l'espérons-nous....

La Confédération syndicale internationale a lancé un appel pour défendre le droit de grève, face à toutes les attaques qu'il subit, mais aussi à toutes les tentatives de le relativiser en tant que droit fondamental, pour n'en plus faire qu'un droit instrumental. Pourtant, relève la CSI,  "pratiquement tous les pays du monde reconnaissent aux travailleurs le droit d'entreprendre une grève", "seules les dictatures les plus totalitaires refusent le droit de grève aux travailleurs", 90 pays (dont la Suisse, en 1999) ont inscrit ce droit dans leur constitution et la Convention N° 87 de l'OIT le garantit -comme le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. La CSI rappelle que ce droit "fondamental des travailleurs à cesser le travail" a permis d'assurer presque tous leurs autres droits sociaux (en quoi, précisément, ce droit est fondamental, puisqu'il est à la source des autres), et que lorsque les droits politiques et sociaux sont remis en cause par des dictatures, c'est le droit de grève qui, juste avant le droit à l'insurrection (qui n'est, lui, pas "reconnu" comme un droit fondamental, sinon dans la constitution française de l'An II, parce qu'il n'a pas besoin de l'être : ce droit se prend sans demander qu'il soit proclamé) est le dernier recours de la résistance à l'oppression, "un pilier non négociable de la démocratie".
"Depuis plus d'une centaine d'années, lorsque les employeurs et les gouvernements refusent le dialogue et la négociation (...)", c'est par la grève que les travailleurs défendent leurs droits, à Genève comme à Ouagadougou.
C'est donc par la grève qu'ils ont agi, en Suisse comme ailleurs : sait-on que dans ce pays supposé être celui de la Paix du Travail érigée en additif au décalogue, il n'y a pas eu, depuis bientôt un siècle et demi, d'année sans grève ? Que l'armée fédérale a plus souvent été appelée pour réprimer des grèves que pour défendre les frontières ? Se souvient-on des grandes grèves qui ont scandé l'histoire de la Confédération helvétique moderne, celle qui naît d'une révolution victorieuse (la seule en ce cas de toutes les révolutions quarante-huitardes) : la Grève du Gotthard, la grève des transports publics à Genève, au tout début du XXe siècle, la Grève Générale de 1918, dont le cahier de revendication dessine l'Etat social contemporain et fait du suffrage féminin une revendication démocratique centrale, la grève « sauvage » des 2000 travailleurs de l’alumimium de Chippis en 1954, des 1000 platriers-peintres de Zurich en 1963, des grèves de Bulova, de Dubied, de Matisa dans les années septante, qui poussèrent à une réinvention du syndicalisme de base ? Des grèves nationales de l'industrie graphique en 1980, des femmes en 1991, de l'imprimerie en 1994, du bâtiment en 2003 ?
Ces grèves, toutes ces grèves et chacune d'entre elles, sont des événements politiques au moins aussi importants que les élections et les votations qui scandent ce siècle et demi d'histoire suisse... Reprenez le cahier de revendications de la Grève Générale de 1918 : vous y trouverez certes des revendications qui, près d'un siècle plus tard, n'ont toujours pas été satisfaites (la démocratisation de l’armée, le monopole d’Etat sur les importations et les exportations, le  paiement des dettes publiques par les possédants, mais vous y trouverez aussi l'introduction du scrutin proportionnel pour l'élection du Conseil National, le droit de vote et d'éligibilité des femmes, la semaine de travail de 48 heures...
La grève comme événement politique, plus politique que bien des événements considérés comme tels, est tou8jous révélatrice des rapports de force réels, non ceux qui structurent majorités et minorités parlementaires, mais ceux qui structurent la société : lors de la grève des TPG, le contraste était saisissant, entre le soutien dont elle bénéficiait de la part des usagers des transports publics et les hurlements qu'elle suscitait à droite : le patronat genevois et ses relais partisans la dénonçait comme illégale, politique, disproportionnée... et "préventive" (parce qu'une grève, selon le patronat, ne doit être que tardive, et ne doit survenir que quand il n'y a plus rien à faire, ni à sauver, ni à conquérir). On vit même alors un conseiller d'Etat supposé être "centriste" évoquer l'appel à l'armée pour suppléer aux travailleurs en grève...
Finalement, comme souvent, ce sont les adversaires des droits fondamentaux qui en constatent, précisément, le caractère fondamental...

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