D'un 9 février l'autre : Vote, revote et dix de der ?


    
Il y a un an que, par une toute petite majorité populaire et une majorité des cantons, le peuple-des-bergers-libres-sur-leur-terre acceptait une initiative populaire xénophobe contre « l'immigration de masse » instaurant des contingents et des plafonds d'immigration totalement contraires aux accords de « libre-circulation », ce qui plongeait la Suisse officielle dans des affres dont elle n'est pas près de sortir. Or le Conseil fédéral n'a toujours pas proposé de projet de loi d'application, les discussions avec l'Union Européenne tournent au dialogue de sourd puisque la « libre » circulation n'est, pour elle, pas négociable, et les forces politiques, sociales et économiques ont tant de projets d'application, de non-application et de contournement des dispositions de l'initiative que la seule hypothèse qui semble faire consensus est celle d'un nouveau vote, annulant ou confirmant celui de l'année dernière. Bref, on n'a pas fini de traîner le boulet du 9 février 2014.

Le 9 février 2014, 50,3 % de crétins et 49,7 % d'incompétents, vraiment ?

"Nous souhaitons aboutir à une solution avec l'Union Européenne au plus près de l'initiative » contre l'« immigration de masse », déclarait en décembre dernier l'alors président de la Confédération, Didier Burkhalter. Qui sait parfaitement, comme l'actuelle présidente Simonetta Sommaruga et comme tous ses collègues du gouvernement, que cette solution « au plus près de l'initiative » est illusoire.

Dans les jours à venir, le Conseil fédéral présentera un avant-projet de loi d'application de l'initiative, et des mesures d'accompagnement. Cet avant-projet et ces mesures seront mis en consultation publique jusqu'à la fin du printemps, repris par le gouvernement, transmis au parlement -d'abord aux commissions des deux Chambres, puis aux sessions parlementaires, avec la possibilité d'un désaccord entre les deux faisant repartir les projets en commission puis à nouveau en plénière, et cela dans les deux ans venir puisque les délais pour une décision finale (encore qu'en démocratie aucune décision ne puisse être tenue pour finale) sont posés par l'initiative elle-même : à moins qu'un vote populaire ne revienne d'ici-là sur celui de 2014, l'initiative doit entrer réellement en application, par une loi ou par rordonnances du Conseil fédéral le 9 février 2017 au plus tard. Or à l'automne prochain se tiendront les élections fédérales, puis en décembre celle du gouvernement, et personne (sauf l'UDC) n'a envie de se farcir en pleine campagne électorale un débat qui cannibaliserait tous les autres.

Application stricte, application souple, non-application, détournement ? Chacun  y va de sa solution pour sortir du piège du 9 février : pour les uns, il faut un vote populaire d'annulation de l'approbation de l'initiative udéciste, le peuple seul pouvant défaire ce qu'il a fait; pour les autres, il faut une loi d'application ne retenant ni contingents, ni « préférence nationale » (pour le PS et les Verts, la mise en oeuvre de l'initiative xénophobe devrait consister à en détourner le contenu pour l'amener à des mesures de politique sociale), l'UDC promettant de lancer alors un référendum contre une telle loi, d'où là aussi, un vote populaire. D'autres prônent l'inscription des « bilatérales » dans la Constitution par un nouveau vote, ce qui ne déplairait pas à Christoph Blocher qui propose lui aussi un vote sur les « bilatérales » -mais pour les dénoncer. Et  l'UDC menace de lancer une initiative de «mise en oeuvre» de son initiative contre l'immigration -ce qui là encore provoquerait un nouveau vote. De quelque manière que l'on analyse la situation, par quelque bout que l'on prenne le problème, on se prépare donc à un nouveau vote, soit directement sur l'initiative déjà acceptée, soit sur sa concrétisation légale, soit sur les « bilatérales » et les accords avec l'Union Européenne qui leur sont liés. Or si rien dans cette hypothèse n'est contraire à un processus démocratique (après tout, si les femmes ont obtenu des droits politiques, c'est au terme d'un vote revenant sur plusieurs votes précédents les leur refusant...), un certain nombre de justifications données pour la faire accepter sont si douteuses qu'en elles-mêmes, si elles devaient se généraliser, elles n'auraient probablement d'autre conséquence que de faire confirmer le vote de 2014.

On n'est jamais minoritaires par hasard : si on n'a pas choisi de l'être, on l'est forcément parce qu'on a échoué. Sans doute une bonne partie des 50,3 % de votants qui ont accepté l'initiative de l'UDC ne sont-ils (et elles) pas partisans d'un Alleingang à la nord-coréenne, et d'une rupture des accords bilatéraux. Mais à l'inverse, les 49,7 % d'opposants ne forment pas une masse compacte soutenant ces accords tels qu'ils sont, et tels qu'ils sont appliqués. La gauche, en tout cas, est fort critique à l'égard du contenu et de l'application sans mesures réellement efficaces d'«  accompagnement » de ces accord, mais elle n'en a pas moins appelé à combattre l'initiative udéciste les remettant en cause. Si la totalité de son électorat l'avait suivie, l'initiative aurait été largement repoussée. Une part suffisante de cet électorat de gauche a donc fait basculer la majorité : croit-on réellement pouvoir la convaincre de changer d'avis en la traitant d'imbécile s'étant trompé de vote, mais que, paternellement, nous sommes prêts à remettre dans le droit chemin ? comme si dans un vote comme celui du 9 février 2014 ne s'étaient confrontés qu'un bloc de crétins votant « oui » sans savoir pourquoi et un bloc d'éclairés votant « non », sachant ce que ce vote signifie, mais incapables d'en convaincre une majorité...

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