Islamophobie, islamomysie, anti-islamisme ? Attention, mots piégés !


Dans les deux semaines qui ont suivi le carnage de « Charlie Hebdo » et du supermarché kasher, 33 actions violentes contre des lieux de culte musulmans ont été recensées en France, dont des tirs d'armes à feu et des lancers de grenades, et 95 menaces et agressions contre des personnes. C'est presque autant en deux semaines que pendant toute l'année 2014. Et en 2013, toujours en France, trois quart (74 %) des personnes interrogées par IPSOS estimaient que l'islam, en tant que tel, et toutes distinction effacées entre ses diverses composantes, conceptions et confessions, est une religion « intolérante » et « incompatible avec les valeurs de la société françaises ». Quant à la Suisse, on se contentera de rappeler qu'elle est sauf erreur, à ce jour le seul Etat démocratique où le peuple ait imposé, par un vote, l'interdiction de la construction de minarets. On a donc affaire à quelque chose qu'on a peine à définir en par un seul mot : islamophobie (peur de l'islam), islamomysie (haine de l'islam), anti-islamisme (lutte contre une dérive de l'islam) ? Attention, mots piégés...

« Dieu est de retour, et cela complique tout  » (Marek Halter)

La « mouvance » islamophobe ou islamomyse «Pegida» qui réunit des foules (mais des foules encore plus importantes contre elle) en Allemagne et semble vouloir s'implanter aussi en Suisse, assure ne pas vouloir s'en prendre aux « musulmans intégrés qui vivent ici » mais vouloir « protéger notre culture judéo-chrétienne », interdire la burqa et les écoles d'imams. Le vice-président de l'UDC suisse, le roboratif Claude-Alain Voiblet, admet qu'« il pourrait y avoir des points de convergence » entre « Pegida » et l'UDC, mais qu'il est « trop tôt pour le dire », ou plutôt pour l'avouer publiquement. Dans la tranchée d'en face, la présidente de la Confédération, Simonetta Sommaruga, appelle à ne pas se tromper de combat et à ne pas commettre « l'erreur fatale » de la stigmatisation de l'ensemble des musulmans : « il est aujourd'hui non seulement déplacé, mais aussi dangereux, d'attribuer les faits horribles de quelques partisans d'une idéologie radicale à l'ensemble d'une communauté religieuse».

Les islamophobes (qui ont peur de l'islam) comme les islamomyses (qui haïssent l'islam) considèrent l'islam comme une religion essentiellement violente, les « musulmans modérés» le présentent comme une religion essentiellement porteuse de paix - mais cette alternative est insignifiante : l'islam, comme les autres religions monothéistes et révélées est disponible à tout usage, y compris les pires. Après tout, les djihadistes ne se revendiquent pas d'une gastronomie ou d'une musique mais  d'une religion, parce qu'il leur est possible de le faire, parce que cette religion, comme d'autres, le permet. Quant aux anti-islamistes, ils pourraient reprendre les mots adressés aux musulmans par Abdennour Bidar, dans sa Lettre ouverte au monde musulman : « Les racines de ce mal qui te vole aujourd'hui ton visage sont en toi-même, le monstre est sorti de ton propre ventre, le cancer est dans ton propre corps » -des mots qui auraient pu tout aussi bien être adressés aux tueurs catholiques de la Saint-Barthélémy -mais c'était il y a 450 ans... Et il faut bien aussi rappeler que la majorité des victimes des djihadistes sont musulmanes (ce qui est logique, puisque les populations des régions où sévissent le plus massivement les djihadistes sont très majoritairement musulmanes), comme la majorité des victimes des exactions commises par des chrétiens au nom de leur religion (et de telle ou telle de ses variantes) étaient chrétiennes.

Que l'islam soit (c'est toujours Abdennour Bidar qui parle) « très malade» de sa propre incapacité à se mettre « au niveau de sa propre histoire et des défis de l'époque » nous rappelle que si le christianisme a pu finalement rompre, sauf dans ses franges, avec ce qu'il avait lui aussi de « malade », c'est que ses institutions ecclésiales y ont été contraintes par une succession de ruptures, partant des premières hérésies pour aboutir à l'humanisme d'abord, à la Réforme ensuite, puis aux Lumières, et enfin à ce qu'on pourra appeler comme on veut (sécularisation, laïcité, déchristianisation...), qui a distendu jusqu'à parfois le rompre le lien entre les pouvoirs religieux et les pouvoirs politiques. Rien, cependant, n'est acquis : les religions sont de retour, mais instrumentalisées par la politique, déploraient à Genève, après le massacre de Charlie Hebdo, des personnalités juives, chrétiennes et musulmanes. Disons que si instrumentalisation de la religion par la politique il y a bien, cette instrumentalisation est pour le moins réciproque...

Marek Halter constate  « l'irruption de Dieu. Dieu est de retour, et cela complique tout ».  Or cela ne « complique tout » que pour les victimes et les témoins de cette violence à prétexte religieux - pour ses fauteurs, au contraire, cela simplifie tout : se battre, tuer et mourir pour l'Eternel, le Tout-Puissant, l'Omniscient, l'Omniprésent, l'Omnibénévent du christianisme, ou le Clément et Miséricodieux de l'islam, ou le Messie, ou Dieu fait homme, ou le Prophète définitif, c'est tout de même une garantie d'être dans son bon droit telle qu'aucun projet politique rationnel ne pourra jamais ni offrir ni contester... 
Même pas le nôtre ? même pas. Il est vrai qu'il lui manque d'un dieu. Quelqu'un en aurait-il un en solde à nous refourguer ? Parce que pour se trouver un prophète, on peut se débrouiller nous-mêmes, mais un dieu, ça, on sait pas...

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