La gauche, toute la gauche, et même au-delà, sous l'effet grec : Tous plus Syriza les uns que les autres !


Le triomphe de Syriza lors des législatives grecques n'a pas (encore) changé la politique européenne, s'il a déjà changé la politique grecque, mais il a généré, à gauche (mais pas seulement : même Marine Le Pen a embrayé...) une sorte d'euphorie si contagieuse que toutes ses composantes se sont mises à tenter de la récupérer à leur profit. C'est à qui serait le plus syriza-compatible : « Syriza, ici, c'est moi »... « non, c'est moi »... « pis d'abord, chuis plus syriza que toi »... « c'est même pas vrai, et de toute façon j'étais syriza avant toi »... Le PS en oublie la déculottée du Pasok, les communistes (et chez nous le Parti du Travail) la congélation du PC grec, la « gauche de la gauche » française (et genevoise) sa propre fragmentation et ses querelles de pouvoir et d'image...

« Si la victoire a beaucoup de parrains, la défaite est orpheline »

Si la victoire a beaucoup de parrains, la défaite est orpheline» disait Talleyrand... S'il pouvait lire et entendre les discours tenus, à gauche et bien au-delà, sur la victoire électorale de Syriza et l'accession au pouvoir d'Alexis Tsipras et de ses camarades, ce maître en opportunisme n'aurait pas un mot à retirer de sa sentence. D'une partie de la gauche révolutionnaires à la social-démocratie, de la gauche d'opposition à la gauche de gouvernement, de la droite de la gauche à la gauche de la gauche, on tient à à aller se faire voir chez les Grecs, ou à tout le moins à faire savoir qu'on est quasiment des leurs, qu'on l'a toujours été, qu'on l'est plus que jamais, et surtout qu'on l'est plus que le voisin. Qu'on ne se méprenne pas sur le sens du sourire suscite en nous cette « syrizamania » : elle a sans doute quelque chose d'un peu ridicule, mais elle ne saurait effacer l'importance de l'arrivée au pouvoir d'une force politique qui, si contradictoire qu'elle soit, et si contradictoire que soient ses discours, radicaux, de campagne électorale et ses premières décisions (dont celle de s'allier à un parti de droite pour obtenir une majorité parlementaire absolue) d'après la victoire, n'en est pas moins le « grain de sable dans l'engrenage » qu'y voit (dans Le Courrier d'hier) Eric Toussaint, ou une brèche dans le consensus sur l'austérité, ou quelque chose comme un Cheval (grec, forcément) de Troie dans l'Europe telle qu'elle est -toute l'Europe, pas seulement l'Union Européenne.

Alors c'est entendu, on est tous Syriza. Mais pas tous pour les mêmes raisons, et pas tous avec les mêmes attentes. «Notre intérêt, c'est d'aider Syriza à réussir», déclare le président du PS suisse. Et ce qui vaut pour Tsipras vaut pour d'autres: « Si Matteo Renzi échoue, on est tous dans la merde...», avertit (dans La Cité) l'écrivain et journaliste italien Alberto Toscano. Le « tous » du « nous » de Toscano vaut pour toute la gauche : celle qui voit dans la victoire de Syriza le moment d'un basculement des rapports de force politiques dans toute l'Europe, celle qui colle à Syriza en ayant soutenu chez elle les politiques combattues en Grèce par Syriza, et celle qui dénonce en Syriza les « habits neufs de la social-démocratie ». Vision d'ailleurs pas si fausse, puisque les premières décisions du gouvernement de Syriza ont été marquées d'un sceau réformiste parfaitement assumé, et consistant soit à annuler des décisions socialement calamiteuses du gouvernement précédent, soit à accorder des prestations indispensables à une population précarisée par l'« austérité », soit à revenir sur des privatisations. Et que Syriza ne remet en cause ni l'équilibre budgétaire, s'il remet en cause les choix faits jusqu'à présent pour l'atteindre, ni l'appartenance de la Grèce à l'Union Européenne, ni son appartenance à la zone euro. D'ailleurs, un type (Tsipras) qui a été reçu par le pape en audience privée en n'étant alors que le chef d'un parti à gauche de la gauche, et dont le président des Etats Unis soutient aujourd'hi la « stratégie de croissance », ne peut pas être foncièrement mauvais... il va d'ailleurs vraisemblablement se trouver, en Europe même, des alliés -et pas seulement ceux qui lui étaient déjà acquis avant sa victoire électorale, comme le « Front de Gauche » français ou « Podemos » en Espagne, mais des alliés au pouvoir en Italie, au Portugal et en France, et même en Allemagne -des sociaux-traîtres, quoi, genre Matteo Renzi, François Hollande ou le syndicat allemand DGB...

Toute la gauche peut donc « être Syriza », chacune de ses composantes y voyant ce qu'elle a envie d'y voir. Toutes, cependant, devraient saluer en sa victoire la victoire d'un choix politique et démocratique sur des ukazes économiques. Et le meilleur soutien que l'on puisse apporter à Syriza est que faire ce qu'on peut pour que chez nous aussi, la politique et la démocratie reprennent le pouvoir, sur l'économie...
Une tâche, il est vrai, un peu plus ardue que celle qui se résume à clamer que « Syriza, ici, c'est nous et pas les autres»...

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