Prosélytisme religieux dans l'espace public : Libre marché des dieux ?


 Des évangéliques en veulent à la Ville de Genève : une nouvelle directive administrative filtre, en les restreignant, les autorisations délivrées aux associations religieuses désireuses de tenir des stands au Molard ou à la rue du Mont-Blanc, et les évangélos considèrent être victimes d'une pratique discriminatoire par rapport à la facilité avec laquelle les partis politiques obtiennent ces autorisations -la loi en vigueur leur donne ce droit, qu'il n'est donc pas possible de restreindre, alors que les « communautés religieuses » ne sont pas au bénéfice des mêmes largesses, et qu'une vieille loi du XIXe siècle (dont on dit qu'elle est désormais anticonstitutionnelle, ce qu'aucune jurisprudence n'a encore confirmé) proscrit toujours les manifestations cultuelles dans l'espace public. Bref, quatre recours ont été déposés au Tribunal Administratif contre les nouvelles règles municipales...

Eviter les discriminations en autorisant tout le monde ou en n'autorisant personne ?

Un groupe de travail sur la laïcité avait été institué par le Conseil d'Etat genevois pour faire des propositions de concrétisation de la nouvelle constitution cantonale sur, précisément, la laïcité (cette constitution est la première de la République à en poser le principe), et sur les rapports avec les « communautés religieuse », malheureuse formulation constitutionnelle qui dévalue le principe même de laïcité proclamé trois lignes plus haut. Ce groupe de travail a rendu son rapport au Conseil d'Etat, qui promet d'en faire son miel. Pour le groupe de travail, la laïcité, définie a minima, est « un principe séparant l'Etat des communautés religieuses; celles-ci n'interviennent pas en tant que telles dans les affaires de l'Etat; celui-là n'intervient pas dans les affaires des institutions religieuses, sauf à faire respecter la loi » (et encore : il n'est pas question, par exemple, de faire respecter par l'église catholique romaine la loi sur l'égalité entre femmes et hommes...), et cela pour ménager « un espace où les fidèles des différentes communautés religieuses », les athées, les agnostiques et « les tenants de systèmes de pensée ou philosophiques de toute nature peuvent échanger, évoluer en tant que citoyens, sans chercher à imposer leurs convictions par la contrainte, la menace ou le harcèlement ». On serait donc dans une société où le pouvoir de l'Etat n'est pas partagé avec une institution religieuse, où les « communautés religieuses» sont libres à l'égard de l'Etat mais doivent respecter une loi commune qui s'impose aux coutumes particulières et où l'Etat ne favorise ni ne discrimine aucune religion. Or on en est encore loin...

En ce moment, à propos des stands « religieux » sur la voie publique, on se retrouve à Genève dans une dispute qui est à un débat sur la laïcité ce qu'une contestation de la vitesse des connexions internet est à un débat sur la liberté d'information -un énervement périphérique à propos d'une mesure qui ne porte que sur la gestion de l'espace public : comment ordonner l'utilisation d'un espace plus restreint que les désirs d'en user (en trois mois, le service de l'espace public de la Ville a reçu 138 demandes de stands religieux, concentrées sur le samedi...) ? En autorisant certains stands religieux et pas d'autres ? En fonction de quels critères ? La Commune va-t-elle se proclamer vérificatrice des vérités religieuses, s'arroger la compétence de trier le bon grain spirituel de l'ivraie sectaire? Demander à certaines associations religieuses de dresser la liste de leurs concurrentes infréquentables ? demander aux communautés chrétiennes de sélectionner les bons musulmans et à la mosquée de trier entre les chrétiens ?  Il n'y a en réalité que deux manières d'éviter les discriminations : autoriser tout le monde ou n'autoriser personne. La Ville a choisi de n'autoriser presque personne (le presque, ce sont des stands du genre de ceux de l'Armée du Salut à Noël, ou de la communauté juive à Hanouka -et cela pourrait donc être ceux d'une association musulmane le jour de fin du ramadan...), et d'inciter les groupements religieux à un peu d'hypocrisie : tenir des stands avec d'autres finalités que le prosélytisme (une récolte de fonds pour une action spécifique, par exemple), puisque c'est le prosélytisme religieux qui est visé, et pas le caractère religieux de l'association qui sollicite l'autorisation.

Nous, on voit mal où est le problème... D'abord parce que le prosélytisme religieux dans l'espace public ne nous choque pas plus que la prolifération du mercantilisme le plus trivial dans ce même espace, ensuite parce que la Ville de Genève est parsemée de dizaines d'édifices et d'espaces religieux de toutes obédiences devant lesquels il serait parfaitement loisible que des stands religieux se tiennent. Et pas forcément des stands religieux de la même obédience que l'édifice : on rêve (malignement, certes) d'un stand d'intégristes musulmans devant un temple protestant, d'évangéliques devant le Sacré-Coeur et de juifs libéraux devant le Centre islamique... ou de la transformation de la place de la Fusterie en un «Marché aux dieux» comme Plainpalais l'est en un Marché aux puces -où, soit dit en passant, se tient un stand de vente de la Bible...
D'un stand biblique à un marché des Ecritures, avouez, chères paroissiennes, chers paroissiens, que le pas est aisé...

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