Syriza, l'éthique de vérité et l'éthique de responsabilité : Le Risorgimento, et après ?


Ce qui s'est produit en Grèce n'est pas une révolution, mais une renaissance : celle de la démocratie, en tant qu'elle s'impose à l'économie et à ses maîtres. La tradition de gauche, en Grèce, est fort ancienne, et c'est l'électorat de gauche qui, désertant un Pasok effondré sur son dernier carré clientéliste, a fait la victoire de Syriza. Car Syriza, c'est toute la gauche, en Grèce, où le PS (PASOK) est en mort clinique (il l'a d'ailleurs bien méritée) et où le parti communiste est fossilisé dans le sectarisme stalinien (on comptera pour rien le nouveau parti de Papadopoulos III, d'une absolue insignifiance, en sus de ne rien avoir qui permette de le qualifier de parti de gauche). Désormais, Syriza gouverne (avec un petit parti de droite comme appoint) la Grèce. Et le 12 février, au Sommet européen, c'est Alexis Tsipras qui représentera son pays, et la volonté de plus de 36 % de ses électrices et électeurs : Syriza dépasse de près de dix points le parti historique de la droite démocratique, de plus de 30 points l'extrême-droite d'"Aube dorée" (devenue "crépuscule glauque"), et renvoie feu le parti socialiste (PASOK) dans les poubelles de l'histoire de ses propres reniements... La victoire historique de Syriza sonne comme une résurrection, non seulement de la gauche grecque, mais de la volonté de faire prévaloir les choix politiques sur la résignation aux dogmes économiques. Et c'est la suite qui va être passionnante : Le Risorgimento, certes, et après ?

"Quand se répand dans ta poitrine la colère, évite qu'en vain ta langue aboie" (Sappho)


Ratant la majorité absolue parlementaire de deux sièges, c'est face au vieux dilemme que Max Weber résumait dans l'opposition d'une éthique de vérité et d'une éthique de responsabilité que se trouvait Syriza, devant choisir entre un gouvernement sans majorité parlementaire (de peu, il est vrai) et une coalition avec un autre parti, en l’occurrence un parti de droite souverainiste. La coalition de gauche (et non pas "d'extrême-gauche", comme le voulait faire accroire ses adversaires de droite) a choisi de se coaliser elle-même avec le parti de la droite souverainiste des "Grecs Indépendants". Et c'est le même dilemme que Syriza, passée de la résistance aux diktats européens au gouvernement d'un pays de l'Union Européenne, va devoir trancher face à l'Union et aux créanciers de la Grèce. On peut faire confiance aux "instances" européennes pour faire prévaloir le réalisme, le pragmatisme, sur leur propre idéologie libérale. Non par scrupule démocratique et respect du vote des grecs, et encore moins par souci de justice, mais bien plus trivialement parce que c'est dans leur intérêt et celui des organismes financiers internationaux. La "gauche radicale" grecque a d'ailleurs donné suffisamment de signes rassurants (à commencer par le renoncement à quitter la "zone euro") pour ouvrir un espace de négociation avec l'Union Européenne, mais aussi pour ouvrir un espace européen de contestation de la politique de l'UE, et de changement de cette politique.

Que veut Syriza ? La révolution ? Non : une réforme, profonde, d'inspiration social-démocrate -mais d'une social-démocratie qui n'aurait pas oublié ce qui caractérise son projet politique fondateur : l'Etat social, l'Etat de droit, la démocratie (y compris dans l'économie). Le programme de Syriza est un vrai programme social-démocrate, pas un machin acratopège dilué dans les "lois de l'économie". Un "vrai programme social-démocrate" du genre de ceux mis en œuvre en Grande-Bretagne, en Belgique, en France au sortir de la Guerre Mondiale. Il s'agissait alors de reconstruire une société dévastée, il s'agit aussi, en Grèce, de reconstruire un pays et une société dévastés -non par la guerre, mais par l'application servile d'une politique réduite à des prédicats économiques et qui a plongé le pays et ses habitants (à une toute petite minorité près) dans la récession : entre un quart et un tiers de revenu en moins, un million de chômeurs en plus, plus de 250'000 fonctionnaires privés de leur emploi, 10 milliards d'euros d'impôts perçus en moins, un salaire minimum abaissé en dessous de 600 euros par mois, des pensions réduites de 40 % et des soins médicaux renchéris de 30 %, une dette publique atteignant 300 milliards d'euros, une économie nationale ravagée...
Alexis Tsipras appelle à une conférence européenne sur la dette, propose l'effacement d'une partie seulement de celle de la Grèce, une restructuration de celle à l'égard du FMI et de la Banque centrale européenne -il ne propose pas que la Grèce annule, unilatéralement, sa dette, pourtant passée de 115 à 175 % du produit intérieur brut entre 2009 et 2014, ce qui, au passage, mesure la totale inefficacité des politiques imposées par les instances internationales au nom précisément du désendettement du pays. Syriza propose que les ressources libérées par l'effacement partiel, et négocié, de la dette (dont d'ailleurs plus personne ne croit qu'elle puisse être totalement remboursée) soient affectées à une politique de relance économique et  de reconstruction sociale : création d'un "bouclier de protection sociale" pour la population la plus pauvre, gratuité de l'électricité et subventions alimentaires pour 300'000 familles vivant en dessous du seuil de pauvreté, accès gratuit aux services de santé, création de 25'000 logements sociaux, relèvement des retraites, diminution des tarifs des transports publics, réforme fiscale pour "puiser l'argent chez les riches", lutte contre la fraude et l'évasion fiscales, création d'une banque publique de développement, fin des privatisations, rétablissement du salaire minimum, création d'emplois, investissements publics : on est dans un "new deal" grec (que Syriza veut élargir à l'Europe), on n'est pas dans une rupture révolutionnaire avec le capitalisme mais dans sa resocialisation réformiste.

Or il se trouve qu'en 2015, si réformiste qu'il soit, la réalisation d'un tel projet serait déjà exemplaire de la possibilité de sortir de la nasse des "lois de l'économie" brandies pour le combattre. Autrement dit : même si le vote pour Syriza est plus un vote de protestation qu'un vote de rupture, ce vote dit tout de même qu'une "autre politique est possible". Pas une politique qui bouleverse les modes, les rapports et les forces de production, mais une politique qui rompt avec la résignation et dit ce que tout projet politique doit pouvoir dire : qu'il y a toujours une alternative à l'ordre des choses, et qu'aucun rapport de force n'est immuable.

La Grèce de 2015 n'est pas l'Espagne de 1936, Syriza n'est pas la CNT-FAI, Tsipras n'est pas Durutti ? Sans doute. Et alors ?

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