C'est encore loin, l'égalité ? Tais-toi, et marche (demain à Berne)...







Un "Manifeste du 7 mars", signé par une centaine de femmes de toutes tendances politiques et de toutes insertions professionnelles, de Micheline Calmy-Rey à la présidente des "Business Professional Women" de Suisse en passant par la chanteuse Sina, la présidente du gouvernement bernois Barbara Egger-Jenzer et la présidente de l'Ubnion suisse des paysannes Christine Bühler, proclame "Egalité salariale, plus que jamais" et appelle, comme la Communauté genevoise d'action syndicale et la Marche mondiale des femmes, à la manifestation nationale de samedi, à Berne* avec comme mot d'ordre "Pas de nouveau pacte contre les femmes".


*SAMEDI 7 MARS, BERNE : Manifestation nationale des femmes, 13 heures 30, Schützenmatte
NON à la retraite à 65 ans. OUI à l'égalité salariale

Train spécial gratuit au départ de Genève (10 heures 39), Nyon (10:53), Lausanne (11.15), Fribourg (midi)





La retraite à 65 ans pour les femmes aussi ? Cela équivaut à leur demander de travailler six ans sans être payées...


Les signataires du "Manifeste du 7 mars" et les organisatrices de la manifestation de samedi rappellent que le principe de l'égalité des droits entre femmes et hommes est ancré dans la constitution depuis trente-trois ans, celui de l'égalité salariale depuis dix-neuf ans, qu'il n'est pas acceptable qu'ils ne soient toujours pas respectés, et qu'il n'est pas acceptable non plus l'on puisse en ce moment proposer, au prétexte d'un "franc fort" pénalisant les exportations, les bénéfices et les plus-values, que l'égalité passe aux second plan de l'"adaptation conjoncturelle".

On devrait s'accorder à considérer qu'une promesse constitutionnelle vieille de trente ans ait atteint l'âge d'être respectée, même dans un pays qui se plait à prendre le temps d'une longue réflexion pour aboutir à un solide compromis.  Mais quand le Conseil fédéral fait un pas (mais un pas seulement) dans la direction de ce respect, celui de l'égalité salariale et de la transparence, en proposant d'instaurer l'obligation pour les entreprises de plus de 55 salarié-e-s de contrôler à intervalles réguliers leurs salaires avec des méthodes reconnues et de rédiger un rapport à ce sujet, : la droite parle de "police des salaires" et le patron de Roche d'une "absurdité". Ce qui confirme, si besoin est, qu'il ne faut pas compter sur la bonne volonté du patronat pour concrétiser l'égalité salariale quand elle reste à l'état de projet (comme d'ailleurs les autres modalités du principe d'égalité) : la discrimination salariale persiste, et a même tendance à se renforcer (après s'être réduite) en Suisse (contrairement à la plupart des pays d'Europe), pour se situer actuellement, en moyenne générale, autour de 19 % (au détriment des femmes, faut-il le préciser ? apparemment, il faut...), mais de 23 % dans le secteur privé. La proposition du Conseil fédéral n'oblige cependant pas les employeurs à publier l'écart des salaires des femmes et des hommes, les femmes devront continuer à réclamer leur dû devant les tribunaux, par des procédures longues, et sans protection de leur emploi pendant la procédure puisqu'on peut dans ce pays licencier sans motif.

Beaucoup reste donc encore à faire ("Il manque une autorité de contrôle dotée de compétences en matière d'investigation et d'intervention, qui, en cas de discrimination constatée, pourrait imposer l'égalité salariale", note l'Union syndicale suisse), les différences de salaire entre femmes et hommes sont pour une grande part sans explication autre qu'une pure discrimination sexuelle, alors que les nouvelles formes de rémunération du travail (des rétributions "au mérite" à la fausse "indépendance") menacent d'aggraver encore cette inégalité. Ces pertes de salaire, les femmes les paient même une deuxième fois à la prise retraite (que le Conseil fédéral leur propose de devoir prendre une année plus tard), car leurs rentes sont inférieures à celles des hommes, comme d'ailleurs celles du "2ème pilier", quand encore elles en touchent une (plus de 4 femmes sur 10 n'en ont pas... et les trois quarts des femmes n'ont pas non plus de "3ème pilier", celui de la prévoyance individuelle).



L'AVS est une vieille institution sociale, qui nous vient d'un temps où le modèle patriarcal était, dans la réalité sociale, outrageusement dominant. Revendiquée lors de la Grève Générale de 1918, instaurée trente ans plus tard, elle reproduisait au départ ce modèle patriarcal dans l'accès aux rentes : pas de rente individuelle pour les épouses, prise en compte seulement partielle du salaire des salariées mariées, pas de prise en compte du salaire de l'ex-mari dans la rente des retraitées divorcées... Il faudra dix révisions de l'AVS pour instaurer l'égalité dans l'accès aux rentes, parallèlement à une diminution de l'âge de la retraite pour les femmes -de 65 ans au départ à 62 ans en 1964, avant qu'on la repousse à 64 ans en 1997, et qu'on propose aujourd'hui de la remettre à 65 ans. Comme en 1948  : ça, c'est du progrès social, sur fonds d'unanimité de la droite et du patronat pour annoncer ensuite que ce sera 67 ans pour tout le monde...


Que signifie, compte tenu de l'écart salarial de 18,9 % au détriment des femmes, ce report d'un an de l'âge de la retraite des femmes ? il signifie qu'on demande aux femmes d'accepter de travailler, dans leur vie active, six ans sans être payée (elles ne le sont déjà pas pour le travail domestique dont elles assurent l'essentiel). L'inégalité salariale, en effet, aboutit à ce que les femmes, qui travaillent déjà plus que les hommes si on tient compte du travail domestique, doivent travailler en moyenne près de 60 jours de plus que les hommes pour toucher le même salaire annuel, que l'année de travail des femmes, à salaire égal à celui des hommes, est une année de quatorze mois, et que sur 40 ans de vie active, les femmes doivent travailler six ans et demi de plus que les hommes pour toucher le même salaire. Et cela signifie donc que le fait qu'elles puissent encore prendre une pleine retraite un an avant les hommes n'est même pas une compensation d'un sixième de cette inégalité -qui ne pourrait être compensée totalement qu'en accordant aux femmes un âge de retraite de 59 ans, et pas de 64 ans comme actuellement, ou de 65 comme le propose le Conseiller fédéral Berset, en contradiction avec le programme et les prises de position de son propre parti.



En novembre dernier, dans une résolution, les femmes du SSP (seul syndicat de l'USS dont l'effectif est majoritairement féminin -ceux de l'USS, globalement, ne le sont qu'à 30 %) ont appelé à la défense d'un projet de société féministe consistant en une "politisation des besoins" et se traduisant par une adaptation des rentrées fiscales aux besoins, au lieu que d'un calibrage de la couverture des besoins à une fiscalité minimale. C'est là une solide position de gauche : on définit d'abord des droits, on trouve ensuite les moyens de les garantir. Et cela vaut pour la couverture de l'AVS (dont on rappellera au passage qu'elle est le plus solide, et le moins inégalitaire pour les femmes, des trois piliers du système suisse de retraite, puisqu'elle est basée sur la masse salariale globale et un financement solidaire) comme pour l'égalité entre femmes et hommes comme pour toutes les autres déclinaisons du principe de l'égalité, non sans ajouter qu'il y a en tout cas mieux à faire pour défendre ce principe que revendiquer, comme c'est devenu une sorte de refrain, "plus de femmes dans les instances dirigeantes des entreprises" : qu'une salariée soit sous-payée, une employés licenciée, une stagiaire ou une sans-papier surexploitée par une patronne plutôt qu'un patron, on voit mal ce que ça change pour la travailleuse pauvre, la licenciée et l'exploitée.
Mieux à faire que cela, cela signifie lutter contre le passage à 65 ans de l'âge de la retraite des femmes, contre les violences faites aux femmes -les violences physiques, mais aussi les violences sociales, et contre les coupes dans les budgets sociaux, dont les femmes sont les premières victimes.
Et cela signifie aussi, et en même temps, lutter pour l'égalité dans le travail, y compris dans le travail domestique, pour la prise en compte du travail domestique et des tâches éducatives et d'accompagnement comme source des mêmes droits sociaux que le travail salarié, pour une réduction de l'âge de la retraite des femmes et des hommes, une réduction du temps de travail journalier, hebdomadaire et annuel des femmes et des hommes, et pour un salaire minimum légal.


Vaste programme ? Certes. Mais en est-il d'autres qui vaillent, si l'on tient à l'égalité non comme invocation rituelle, mais comme programme politique ?

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