Les gouvernements suisse et genevois complices de la négation d'un génocide ?

    Génocide arménien, le spectre de 1915 24 Avril 1915 : la destruction physique de la population arménienne de l'empire Ottoman commence. En moins de deux ans, plus d'un million d'hommes, de femmes et d'enfant sont exterminés, ou laissés à la mort de faim, de soif, de maladie. L'empire ottoman lui-même les suivra dans la tombe,  laissant place à la Turquie moderne. Qui un siècle après ce génocide le nie toujours officiellement, quand bien même une bonne partie de ceux qui s'accrochent à cette négation savent qu'elle n'est qu'un déni de réalité -un déni d'histoire. D'autres en Turquie ont ouvert les yeux sur ce passé -mais d'autres encore en Suisse, avec la complicité des gouvernements fédéral et genevois, exigent que rien ne remette au jour le massacre d'un peuple. Le massacre d'un peuple ? littéralement :  un génocide. La négation d'un génocide ? Objectivement, son approbation. Ce soir, lundi 2 mars, 20 heures, salle Pitoeff, après le film "génocide arménien, le spectre de 1915", se tiendra un débat, introduit par Charles Aznavour, Arsinée Khanjian et Boris Mabillard, sur le génocide des Arméniens, cent ans après, avec Sévane Garibian, Ragip Zarakolu, Robert Fisk. Des réverbères de la mémoire contre l'obscurité de la négation -et la lâcheté de la Raison d'Etat Les "Réverbères de la mémoire" (pas seulement de celle du génocide, mais aussi de celle de l'histoire commune des Genevois et des Arméniens), financés par la communauté arménienne de Genève,  ne pourront pas être installés dans le parc de l'Ariana : trop crue, la lumière de ces réverbères brûle les négationnistes turcs (en Turquie et en Suisse) et éblouit les zautorités fédérales suisses et cantonales genevoises : alors que la Ville de Genève soutenait leur installation, la Confédération et le canton la trouvait trop proche des organisations internationales, dont il semble convenir de ne troubler ni la quiétude, ni l'amnésie. Cette étrange alliance de la pusillanimité helvétique et du négationnisme turc a, légitimement, soulevé la colère de la communauté arménienne et l'incompréhension des autorités municipales, pendant que le Conseil d'Etat genevois cherchait mille prétextes pour justifier son refus d'accorder l'autorisation de construire le mémorial dans le parc prévu, et sa demande d'en trouver un autre. Si possible invisible. Les caves de la tour Baudet ou du café Papon, par exemple ? Lorsqu'un nationaliste turc nie que les massacres commis contre les Arméniens en 1915 aient été génocidaires, avec comme argument que la définition juridique du génocide est ultérieure à ces massacres, losqu'il qualifie ce génocide, avéré, de "mensonge international" et qu'il laisse entendre qu'en 1915, le véritable agresseur n'était pas celui qu'on croit (sous-entendu : ce ne sont pas les turcs qui furent les agresseurs des Arméniens, mais les Russes et les Arméniens qui furent les agresseurs des Turcs), ce nationaliste turc est-il négationniste ? Pour la justice suisse, la réponse est oui, et Dogu Perincek a été condamné pour cela en 2007. Mais ce jugement, confirmé par le Tribunal fédéral suisse, a fait l'objet en 2013 d'une condamnation de la Suisse, par la Cour européenne des droits de l'Homme, pour violation de la liberté d'expression -jugement qui a lui-même fait l'objet d'un recours de la Suisse devant la Grande Chambre de la Cour, instance d'appel qui statue définitivement et dont le jugement est d'autant plus attendu qu'il fera jurisprudence dans toute l'Europe : si la condamnation de la Suisse est confirmée, le négationnisme relèvera désormais de la liberté d'expression, et on pourra donc nier la Shoah comme Perincek, défendu par le Conseiller national UDC Yves Nidegger (qui pour l'occasion se fait le chantre de la suprématie du droit international et de la compétence d'une cour internationale, qu'il vomit et que son parti vomit habituellement)  nie le génocide arménien. Et si la condamnation de la Suisse est cassée, une limite, non à la liberté d'expression mais à l'impunité de l'expression, aura été confirmée : on pourra toujours dire n'importe quoi (ou l'écrire, le filmer, le chanter, le peindre...) mais on aura peut-être à rendre compte, ensuite, de ce qu'on aura dit. L'expression est libre, forcément libre, mais celui qui s'exprime est responsable de ce qu'il exprime. On pourra donc toujours être négationniste et l'exprimer, pas seulement le penser in pectore, mais on devra en assumer les conséquences légales. Perincek, Nidegger, les opposants au mémorial des génocides, prétendent représenter les "Turcs", pour l'un, les "Turcs de Suisse" pour les autres ? Cette captation de représentativité est un mensonge : ces "représentants" ne représentent en tout cas certainement pas les Kurdes de Turquie, les Alévis de Turquie, qui forment peut-être la majorité de la "communauté turque" de Suisse. Ils ne représentent pas non plus les artistes, les intellectuels, les militants turcs qui sont, contrairement à eux, capables de regarder en face l'histoire de leur pays et d'en tirer des leçons : le 19 janvier dernier, des milliers de manifestants ont commémoré dans plusieurs villes turques l'assassinat, il y a huit ans, du journaliste Hrant Dink, en réclamant justice pour ce crime, mais aussi pour les victimes du génocide d'il y a un siècle, que Hrant Dink avait été le premier arménien de Turquie à oser rappeler publiquement. Que le gouvernement turc méprise les citoyennes et citoyens turcs, kurdes et arméniens de Turquie, qui luttent aujourd'hui contre la négation et l'amnésie, ne surprendra pas. Que le gouvernement suisse et le gouvernement genevois en fassent autant, transforment une divergence administrative en faute politique en méprisant l'engagement de la Ville de Genève autant que le rôle et le symbole de la "Genève internationale" qu'ils prétendent défendre, est inqualifiable autrement que comme une lâcheté.

Commentaires

Articles les plus consultés