Loi sur la police : victoire sans vainqueur, défaite sans vaincu


    
Ni Austerlitz. ni Waterloo : Borodino

Ni Austerlitz ni Waterloo, Borodino : une victoire sans vainqueur, une défaite sans vaincu, un résultat tiré à pile ou face -la loi genevoise sur la police est (provisoirement) acceptée avec 42 voix d'écart, soit à 50,02 % des suffrages. C'était le genre de votation où quel que soit le vote que l'on produisait, il était insatisfaisant, et quel que soit le résultat final, pour le moins ambigu, voire malsain. Une majorité de 42 voix sur 100'000 votants tient autant de la loterie que de la décision démocratique : 43 socialistes et verts votant « non » plutôt que blanc, ou 42 èmecégistes arrivant à se traîner au local de vote, et la loi sur la police aurait été refusée -elle n'a d'ailleurs, au final, pas obtenu de majorité si l'on tient compte des bulletins blancs, qu'on ne peut considérer ni comme une abstention, ni comme un soutien à la loi. Et le résultat est encore suspendu à un probable recours en annulation, après l'irrégularité de l'information donnée aux citoyens par le Conseil d'Etat : 42 voix de différence, cela peut tenir à quelques articles de loi annulés, mais publiés tout de même dans la brochure officielle...


« C'est un triste métier que de suivre la foule et de vouloir crier plus fort que les meneurs » (Alfred de Musset)

Au soir de la votation,  personne n'admettait avoir perdu le vote sur la loi sur la police. Ni les majoritaires à 42 voix près, ni les minoritaires à 42 voix près. Tout le monde pouvait s'attribuer un petit bout de petite victoire, ou accuser le voisin politique d'avoir contribué à une petite défaite. Contentements et règlements de compte pré-électoraux totalement étrangers à l'objet du scrutin, et qui ne répondent toujours pas à la question : Pourquoi fallait-il (ou aurait-il fallu) voter la nouvelle loi  ? Dans leur tract de campagne, les partisans de la nouvelle loi répondaient : pour que « notre police » soit « plus efficace, plus visible, plus moderne, plus proche, plus adaptée »... et « Suisse » . Parce que jusqu'à présent, ekke était inefficace, invisible, archaïque, lointaine, inadaptée et pas suisse ? Sachant que depuis un siècle et demi, aux seules trois exceptions de Léon Nicole (mais c'était il y'a 80 ans...), Bernard Ziegler et Laurent Moutinot, tous les ministres genevois de la police viennent de la droite de l'échiquier politique, on se demande si les auteurs du tract en faveur de la loi sur la police n'étaient pas, en fait, d'odieux gauchistes camouflés faisant le procès de la milice de l'ennemi de classe...
Avec un écart aussi minime (42 voix), une participation aussi médiocre (47,2 %) et une proportion aussi élevée (4 %) de votes blancs que ceux constatés hier, la majorité (étriquée et relative) des uns est forcément la minorité (de justesse) des autres -si bien que nous pouvions dans le cas d'une acceptation de la loi comme dans celui de son refus, sinon nous féliciter d'être dans le camp des gagnants (politiquement il n'y en a pas), du moins de ce qu'un adversaire, Maudet ou le MCG, soit dans celui des perdants, même si chacun de ces camps de droite avait ses supplétifs de gauche -la gauche gouvernementale pour Maudet, « Ensemble à gauche » pour le MCG. Ce qui ne contribuait évidemment pas à faire du choix entre le « oui » et le « non » à la loi un choix entre la gauche et la droite, puisque des morceaux de la gauche et de la droite il y en avait des deux côtés (encore qu'il faille se garder de confondre la droite démocratique avec la droite qui ne l'est pas...).

En attendant, faute de savourer le plébiscite auquel il appelait, Pierre Maudet a résumé sa (provisoire) victoire à l'arraché en déclarant, en substance, qu'une seule voix de majorité, ça faisait quand même une majorité. Dans le système actuel, sans doute, mais on se dit tout de même que quand une loi est votée par 42 voix de majorité sur 100'000 votants sans qu'on tienne compte des 4000 votes blancs dans le calcul de la majorité, il serait temps d'envisager une modification de la loi sur les votations et élections pour, comme lors des élections, définir pour les votations une majorité sur les bulletins valables (blancs compris) et pas seulement sur les bulletins exprimés.

Tout cela dit, un peu d'optimisme sans ricanement peut être de bon aloi : après le beau résultat de Pierre Bayenet dans l'élection du Procureur Général l'année dernière, malgré l'absence d'engagement officiel du du PS et des Verts dans ce combat, résultat qui avait illustré la permanence d'un refus des obsessions sécuritaires, on peut, avec toute la prudence qui s'impose, considérer le vote majoritaire des quartiers traditionnels de la gauche contre la loi sur la police comme une confirmation de cette résistance (même si cette majorité n'a été obtenue que par le ralliement de l'extrême-droite-mais pour ses raisons sécuritaires et xénophobes à elle- au mot d'ordre du « non »). Le PS et les Verts avaient d'ailleurs, à gauche, été les seuls avant le lancement du référendum à combattre efficacement le projet de loi initial, sinon dans sa totalité du moins dans certains de ses aspects les plus inquiétants, en le portant au Tribunal fédéral et en en faisant annuler trois articles dangereux.  C'est sur cette résistance de gauche, minoritaire mais constante, qu'il convient de s'appuyer, dans les débats politiques sur la justice, la police et les prisons, en évitant de travestir ces débats pour satisfaire à l'urgence d'un discours électoral audible.
Parce que «  C'est un triste métier que de suivre la foule et de vouloir crier plus fort que les meneurs » (Alfred de Musset)

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