Netanyahou fait campagne électorale à Washington


Bétonner l'impasse

Le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, est allé parader à Washington, devant un public (la droite du congrès américain) aussi acquis à sa cause qu'il l'est à la sienne. Pour parler de quoi ? de la paix, du dialogue avec les Palestiniens, de la pauvreté qui touche une partie toujours plus importante de la population israélienne, de l'isolement d'Israël sur la "scène internationale", de l'échec de l'offensive sur Gaza ? Non : de l'Iran et de son programme nucléaire. Parce que Netanyahou n'a rien à dire aux Israéliens, ni à qui que ce soit d'autre, que cela. Pas d'autre programme que celui qui a conduit le pays qu'il gouverne dans une impasse qu'il veut encore bétonner. Pas d'autre ambition qu'en rester le Premier Ministre. Netanyahou fait campagne à Washington devant la droite du Congrès américain, Avraham Burg, ancien président du Parlement israélien, homme de gauche et leader pacifiste, remet les pendules à l'heure à Genève, à la faveur du Festival du film et forum international des droits humains : vous pourrez le rencontrer ce soir, mercredi, à 20 heures à Unimail (salle M130), à l'initiative du Cercle Martin Buber (
http://www.cerclemartinbuber.ch/). Après quoi, si vous le voyez projeté quelque part, ne manquez pas le beau film d'Amos Gitai. Et lisez Mahmoud Darwich. Et écoutez le Diwan de Daniel Barenboim jouer Beethoven.

Sionisme, nationalisme, Israël, Palestine : "rétablir le sens des mots"

On dit que Confucius avait déclaré que la première mesure qu'il prendrait s'il était empereur serait de "rétablir le sens des mots". Dans la confusion générale des termes utilisés pour identifier les protagonistes du conflit israélo-palestinien, et leurs projets politiques, le vieux Kong aurait du grain à moudre (sans que l'ivraie en ait été séparée). Il n'est sans doute pas complètement inutile d'essayer de retrouver quelques repères historiques -par exemple à propos du sionisme. Du sionisme originel, il ne reste certes plus grand chose aujourd'hui : le projet politique sioniste qui fut à l'origine de la création de l'Etat d'Israël est mort avec l'occupation de la Cisjordanie et de Gaza, avec l'agonie des kibboutzim, avec la prolifération des colonies. Reste l'Etat d'Israël. Un Etat oppresseur comme bien d'autres (comme tous les autres, souffle le vieil anar qui en nous ne dort que d'un oeil), parasité comme bien d'autres par des intégrismes religieux, gouverné par des forces politiques qui nous sont profondément antipathiques, récupérateur d'une histoire dont il transforme les douleurs en prétextes -mais un Etat né d'un projet (le sionisme, précisément) qui n'avait pas grand chose à voir avec ce que cet Etat en a fait. Il conviendrait donc d'abord de se débarrasser de cette vieille lune de l'"antisionisme" (et des tics rhétoriques absurdes qui l'accompagnent encore, comme l'usage de la formule "entité sioniste" pour désigner l'Etat d'Israël, comme s'il n'existait pas -les Gazaouis ne sont pourtant pas encerclés et bombardés par une "entité", ils le sont par un Etat...).

A gauche, le désamour à l'égard d'Israël est aussi patent qu'en Israël le désamour à l'égard de la gauche : les pratiques, les discours, les choix politiques des dirigeants israéliens l'expliquent -mais aussi, dans l'opinion publique israélienne, du moins dans sa part qui se définit comme juive, souvent avant même que de se définir comme israélienne, la substitution d'un nationalisme ethnique, religieux, militariste et autoritaire, du type précisément de celui que défendent les extrême-droites européennes, au "cosmopolitisme" socialisant  des fondateurs de l'Etat. En cette dérive aussi, Israël n'est pas exceptionnel. Mais cette dérive le condamne plus sûrement que tout ce que pourront tenter contre lui les forces qui parasitent la nation palestinienne née, précisément, de l'occupation et de la colonisation. Car s'il n'y avait guère en Palestine au moment de la création de l'Etat d'Israël qu'une nation, l'israélienne, au sens moderne du terme (le sens qui lui donnaient Renan et les austromarxistes), il y en a bien désormais deux : non pas une "juive" et une "musulmane", mais une israélienne et une palestinienne. En s'implantant en Palestine, en l'occupant, l'Etat d'Israël a constitué une nation palestinienne, par cette occupation même, c'est-à-dire contre elle et contre lui. Cette constitution d'une nation palestinienne là où il n'y avait que des populations palestiniennes s'est d'ailleurs faite malgré les Etats arabes de la région, voire contre leur volonté : la nation palestinienne naît de l'oppression des palestiniens, comme la nation juive était née, non de la religion juive, mais des pogroms et de l'antisémitisme. 

Reste que ni la Haganah, ni l'Agence Juive, ni le Congrès Juif Mondial, ni l'Etat d'Israël lui-même n'ont été fondés par des hommes (et des femmes) de droite : l'Irgoun et le Groupe Stern sont des arbres fascisants qui cachent une forêt socialiste (et communiste) même si le "socialisme des juifs" ne se réduit pas au Bund, mais comprend toutes les tendances socialistes, y compris celles qui récusent le sionisme : en 1939, à Jerusalem, Martin Buber récuse en ces termes  : "De toutes les assimilations que nous avons consommées, dans le cours de notre histoire, celle-ci, l'assimilation nationale, est la plus sinistre et la plus dangereuse". . Et si les colonies d'aujourd'hui sont des tumeurs, les kibboutzim étaient bel et bien des tentatives (un "non-échec exemplaire", pour Martin Buber) de construire une société socialiste, et de la construire d'en bas, non, comme pour les kolkhozes et les sovkhozes, d'en haut...  -ce n'est pas pour rien que jusqu'en 1967, des milliers de militants de gauche européens, juifs ou non,  firent au kibboutz pèlerinage -non religieux, mais politique. Ni pour rien qu'aujourd'hui, ce n'est pas à gauche mais à l'extrême-droite que les plus fervents adorateurs d'Israël se recrutent, là où la détestation de l'islam a remplacé celle des juifs.

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