Elections départementales française : la gauche fait gagner la droite


101 Conseils généraux devenant Conseils départementaux (un par département sauf pour Paris et Lyon) ont été renouvelés (sauf en outre-mer), par une élection tenue dans 2054 cantons (deux fois moins qu'en 2013), chacun ayant deux représentants, obligatoirement un homme et une femme (présentés en binôme sur la même liste, ce qui a forcé les partis à présenter des candidates, alors que les femmes n'occupent que 13 % des sièges des actuels Conseils généraux). Pour les 4108 sièges disponibles dans les conseils départementaux, plus de 18'000 candidats se sont présentés.  Au premier tour (celui où l'on choisit, le deuxième tour étant celui de l'élimination...), la droite démocratique (UMP et alliés) était sortie en tête, devant le Front National et le PS, qui avait certes limité les dégâts mais ne pouvait guère se prévaloir que de cela. Dans environ 500 cantons, la gauche (au sens large) avait été éliminée au premier tour, et devait se résoudre à appeler soutenir les candidates et candidats de l'UMP ou d'une autre formation de droite, pour éviter l'élection d'un "binôme" frontiste. Dès lors, Naboléon a beau sauter (comme un cabri) sur tous les micros pour proclamer que l'"alternance est en marche et que rien ne pourra l'arrêter", ni elle, lui, le succès de sa formation (qu'il récupère à son profit exclusif) est dû en grande partie au "vote républicain" de la gauche, comme lors de la rééelection triomphale de Chirac devant Papy Le Pen... Ce fut donc front (républicain) contre Front (national).

On dit que le pire n'est jamais sûr. On dira aussi qu'il n'est jamais exclu. Surtout quand on s'obstine à vouloir en accoucher.

La gauche française est entrée (divisée) dans les élections départementales en dirigeant 60 départements sur 101. Son objectif pour le deuxième tour était, comme pour le premier, de "limiter les dégâts" et de ne pas perdre plus de la moitié de ces départements, après avoir déjà perdu 150 villes aux Municipales de 2014. Objectif médiocre, et atteint parce qu'il était médiocre : la gauche a perdu 28 départements au profit de la droite démocratique et du "centre", mais le PS conserve 34 départements, le PC en a gardé un, et surtout, on ne peut guère considérer comme significatifs les pourcentages nationaux du deuxième tour (autour de 44 % pour l'UMP et ses alliés, de 28 % pour le PS et les siens et de 25 % pour le FN, puisque dans un quart des cantons, la gauche, au sens large (PS, Verts, Front de Gauche) ne présentait plus de candidats, ayant été éliminée au premier tour, et que le choix se limitait à celui entre la droite et l'extrême-droite. La défaite de la gauche au premier tour réduit donc sa présence électorale (et par voie de conséquence son pourcentage d'électrices et d'électeurs) au second tour, mais une absence dans la "finale" d'une élection (locale, en l’occurrence) ne signifie pas une absence du paysage politique local, ni, et moins encore national (en réalité, la droite et la gauche pèsent toutes deux entre 35 et 38 % des suffrages et l'extrême-droite autour de 25 %) -elle signifie seulement qu'en l'absence d'une candidature de gauche, l'électorat de gauche s'est abstenu ou a voté pour un-e candidat-e de droite afin de barrer la route au FN. Là encore, objectif atteint (le FN n'a gagné aucun département au deuxième tour), mais à quel prix ?

Car s'il n'a pas atteint son objectif proclamé de devenir le "premier parti de France", le FN n'en a pas moins élargi, quantitativement et géographiquement son ancrage local, et s'est imposé contre la "troisième force" du paysage politique français, et dans nombre de départements comme le "faiseurs de roitelets", la droite ayant besoin de ses élus pour être, avec lui, majoritaire. Le FN avait  même, au premier tour, dépassé le parti au pouvoir (le PS), alors même que celui-ci résistait mieux que prévu. Au soir du premier tour, le Front National était le premier parti dans presque la moitié des départements, il tait présent au second tour dans la majorité des départements, et faisait au moins 30 % des suffrages dans un un département sur cinq; non seulement il dominait dans ses bastions du sud-est, mais il dominait aussi en Picardie et dans une grande partie du Nord-Pas-de-Calais (au premier tour, le PS avait déjà perdu la majorité (27 sur 41) des cantons de ce bastion historique, et au deuxième tour, il a carrément perdu le Nord...), et s'est implanté dans des régions où il était marginal, comme la Bretagne, ou faible, comme dans le Sud-Ouest. Autour de Genève, il n'y a qu'à Bellegarde que la gauche a réussi à faire passer son "binôme" : toute la Haute-Savoie, même Annemasse, et tout le pays Gex sont passés à droite (mais le FN ne gagne aucun siège, pas même à Cluses ou Thonon, où il était sorti en tête du premier tour : la gauche a fait dans ces deux cantons passer la droite démocratique largement devant le FN).

La droite démocratique, de son côté, en est revenue à la situation du milieu des années nonante, où elle contrôlait les deux tiers de la carte départementale française. Mais pour que cette victoire soit autre chose que la récurrence de la vieille règle qui veut que lors des élections locales on vote contre le camp politique au pouvoir national, à gauche quand la droite est au pouvoir et à droite quand la gauche est au pouvoir, la droite démocratique doit, avec une urgence plus grande encore que celle qui anime le PS, contenir le Front National. Et tout à cette fin sera bon : on a ainsi entendu Sarkozy déclarer que Marine Le Pen avait "le même programme économique que Jean-Luc Mélanchon" , comme si le programme économique du FN importait à celles et ceux qui votent pour lui : l'urne est un exutoire, les cibles proclamées (l'Europe, les "élites", les immigrants) des boucs-émissaires.
Or donc, après l'invention du "social-fascisme" par les staliniens en guerre contre les sociaux-démocrates, voilà l'invention du "facho-gauchisme" par les sarkozystes en concurrence avec le Front National... on s'émerveillera toujours (avec une pointe de jalousie) de l'inventivité conceptuelle des politiques en campagne.

L'UMP a gagné les départementales grâce à la division de la gauche, à son élimination au premier tour dans plusieurs centaines de cantons, et au vote, dans ces cantons, des électeurs de gauche pour des candidats de droite contre des candidats d'extrême-droite. Cette situation, spécifique à cette élection, n'est reproductible pour les élections à venir (régionales, présidentielle, législative) que si la gauche reproduit les mêmes conneries. Il est vrai qu'elle en est capable, d'autant que François Hollande et Manuel Valls semblent avoir "fait une croix" définitive sur l'électorat populaire des vieux bastions socialistes, et décidé de miser leur avenir politique (et celui du PS, malgré leur opposition interne) sur les "classes moyennes", les débats sociétaux, le discours "moderniste" et "pragmatique".
On dit que le pire n'est jamais sûr. On dira aussi qu'il n'est jamais exclu. Surtout quand on s'obstine à vouloir en accoucher.

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