"Réverbères de la mémoire" et Centenaire du génocide arménien


Toilettes historiques à la turque

Il y a un mois, au Grand Conseil, on a eu droit, à propos de l'édification dans un parc de la Ville de Genève d'un mémorial du génocide arménien, dont on commémorera le centième anniversaire le 24 avril prochain. à une véritable concours d'applaventrissements successifs : Le Conseil fédéral s'est couché devant le gouvernement turc, le Conseil d'Etat genevois devant le Conseil fédéral et le Grand Conseil devant le Conseil d'Etat. Une motion du PDC, soutenue par la gauche, demandait au Conseil d'Etat de favoriser (au lieu que d'entraver, comme il le fait actuellement) l'édification de ce mémorial. A une voix de majorité (et avec trois abstentions dont on se demande ce qu'elles peuvent bien signifier sur une question pareille), cette motion  a été refusée par le PLR, l'UDC et le MCG. Avec des arguments du genre "la Suisse doit respecter la neutralité sur le territoire de l'ONU" (François Longchamp, courageux conseiller d'Etat PLR) -or le mémorial devait être installé sur un parc de la Ville de Genève, hors du "territoire de l'ONU... Pour le soucieux député PLR Patrick Saudan, le mémorial serait "contreproductif" à la reprise du dialogue entre l'Arménie et la Turquie, pour l’œcuménique député UDC Michel Amaudruz, il ne faut pas "discriminer les souffrances" et pour le carrément faux derche Conseiller d'Etat Longchamp, il faut trouver "une solution cette année encore pour pouvoir commémorer le centenaire du génocide", alors qu'il a tout fait pour empêcher qu'une telle solution se trouve et que cette commémoration soit la plus "consensuelle" possible. Qu'est-ce que cela veut dire, au juste, un "consensus" sur un génocide, avec ceux qui le nient ?

Une "politique d'atermoiements (qui) ne sert pas la cause de la Genève internationale"...


Le 21 février 2014, il y a plus d'un an, le département cantonal genevois de l'Aménagement enregistrait la demande de la communauté arménienne d'autoriser l'érection d'un mémorial du génocide arménien (et de tous les autres génocides), "Les Réverbères de la Mémoire" dans un parc de la Ville de Genève, l'Ariana. Une année plus tard, la communauté arménienne attendait toujours une réponse formelle du département à sa demande, alors qu'une telle réponse doit en principe tomber dans les deux mois, et qu'une réponse éventuellement négative ne peut se fonder sur des motifs politiques. Réponse négative, cependant, fut donnée, pour des motifs politiques, par le parlement genevois, comme on donne une gifle : c'est le vote du Grand Conseil contre une motion soutenant l'installation de son monument, et, comme arguments de ce vote, des discours dont la stupidité historique et politique ne le disputait qu'à la pure mauvaise foi -et à une tactique dilatoire consistant à tout faire pour qu'aucun mémorial du génocide arménien ne soit installé avant sa commémoration de son centenaire, et même qu'aucun mémorial du génocide arménien ne soit jamais installé, et que l'on se rabatte sur un machin consensuel, un "monument universel dédié à la mémoire de toutes les victimes d'atrocités de masse" (le Conseil d'Etat dixit), si possible en ne citant précisément aucune de ces "atrocités" pour ne pas peiner les partisans ou les descendants de ceux qui les commirent. Qu'est-ce que cela veut dire, au juste, un "consensus" sur un génocide, avec ceux qui le nient ?

Le ministre suisse des Affaires étrangères, alors Président de la Confédération, Didier Burkhalter, avait en décembre dernier recommandé au gouvernement genevois de "refuser d'octroyer l'autorisation de construire (le mémorial) à l'emplacement envisagé", afin de "préserver un environnement impartial et paisible". Les chtis zoiseaux, les chitites fleurs, tout ça, quoi... et cachez ce sang qu'on ne saurait voir. Le secrétaire général du groupe parlementaire Suisse-Arménie, Sarkis Shahinian, résume : "les tergiversations de François Longchamp et de Didier Burkhalter sont en train de soumettre la dignité humaine (...) à un rabaissement". Mais qu'est-ce qu'il a à nous parler de "dignité humaine", l'Arménien ? C'est de Raison d'Etat dont il s'agit... Et le Maire de Genève, Sami Kanaan, a beau condamner une "politique d’atermoiements (qui) ne sert pas la cause de la Genève internationale", c'est cette politique-là, cette pleutrerie, que la majorité du parlement cantonal a ratifiée. Au nom, bien entendu, de la "Genève internationale", que la mémoire d'un génocide ne saurait troubler. On rappellera alors, mot pour mot, ce que nous écrivions dans cette même feuille il y a deux mois : "que ce ne sont pas les Turcs d'aujourd'hui qui sont coupables du génocide de 1915 et qu'ils n'en portent la souillure que parce qu'en leur nom ce crime est nié par des groupes négationnistes qui parasitent le travail de réconciliation. (...) que la réconciliation entre les peuples d'Arménie et de Turquie se fera, malgré les négationnistes, et qu'elle a d'ailleurs commencé de se faire  : Les Kurdes de Turquie, les Alévis et de plus en plus d'intellectuels et d'artistes turcs montrent l'exemple". Et que "ce qui fut commis en 1915 ne s'efface pas en interdisant ou en calfeutrant le mémorial qui le rappelle. Le combat des négationnistes n'est pas seulement un combat odieux, c'est aussi un combat absurde, parce que déjà perdu. Ce que les Kurdes, les Alévis, les démocrates turcs ont déjà reconnu, la Turquie officielle le reconnaîtra aussi, malgré les cadavres politiques réunis autour du catafalque d’Atatürk, et malgré leurs relais en Suisse, pour nier à la fois la justice et l'évidence".
Nous ne retirons aucun de ces mots.

Le génocide arménien se commémorera dans trois semaines*. Et le 16 avril, une semaine avant la commémoration du génocide arménien, se tiendra à Carouge une cérémonie de commémoration d'un autre génocide, la Shoah, septante ans après la libération des camps nazis de la mort. On attend donc que le Conseil fédéral, le Conseil d'Etat, le PLR, l'UDC et le MCG invitent les organisateurs à renoncer à cette commémoration, pour ne pas rappeler "des moments douloureux de l'histoire humaine" et ne pas chagriner inutilement les derniers vieux nazis, ni provoquer leurs néo-héritiers.

* samedi 11 avril, à Lausanne (de 14 à 17 heures, Salle des cantons du Buffet de la Gare), solidaritéS, POP et Gauche en mouvement organisent une conférence sur "Le génocide des Arméniens, 100 ans de mémoire", avec Armenag Aprahamian, Anjel Dikme et Nevzat Onaran

Vendredi 17 avril, à Genève (au Victoria Hall à 20 heures) sera donné en commémoration du génocide un concert (Stabat Mater de Pergolèse, pièces d'Albinoni, Bach, Komitas etc...), avec  (notamment) la soprano Varduhi Khachatryan. Renseignements : tel. 0800 418 418


Commentaires

Articles les plus consultés