Comme d'hab' depuis cinquante ans : A d't'à l'heure, au cortège*...
Tout à l'heure, comme tous les 1er Mai (pardon : tous les 12 Floréal)
depuis cinquante ans (pour ce qui, modestement, ne renvoie qu'à notre
modeste histoire personnelle), on va défiler avec les copains. Pas pour
la «Fête du travail», ce machin pétainiste bidouillé pour concurrencer
notre Premier Mai à nous, mais pour celle des travailleurs. Cette année à
Genève, le mot d'ordre, c'est : « Nos emplois, nos salaires, nos
retraites: unissons-nous ». Peu importe : c'est la mobilisation qui
importe, pas son prétexte. « Nous voulons une Suisse juste, solidaire,
sans discrimination et ouverte », proclame l'appel de l'Union Syndicale
Suisse pour le 1er Mai. Et ça sonne tout de même un peu mieux, un peu
plus fort, que le très défensif mot d'ordre genevois...
« La gauche se meurt, non pas parce qu'elle a échoué, mais parce qu'elle a réussi » ...
Ce Premier Mai à Genève et en Suisse va porter des revendications
essentiellement défensives : maintenir les salaires, les retraites et
les emplois. Même dans le pays le plus riche d'Europe, ces acquis
doivent en effet être défendus, à la fois contre le patronat, les partis
de droite et, forcément aussi, les gouvernants, même ceux issus de nos
rangs. On ajoutera à ces revendications défensives celles,
traditionnelles, du mouvement syndical et de la gauche réformiste (s'il
en est encore une autre) : l'égalité salariale et sociale entre femmes
et hommes, le refus du creusement de l'inégalité entre les plus riches
et tous les autres, la défense des droits syndicaux (du droit
d'activisme syndical dans les entreprises au droit de grève). Et le
refus des « campagnes d'exclusion contre les bénéficiaires de l'aide
sociale, contre les rentiers et rentières de l'AI, contre les minorités
religieuses et surtout contre les étrangers et les étrangères » -c'est
l'Union Syndicale Suisse qui parle, en proclamant que « l'heure est à la
justice sociale » et que nous sommes de ceux qui veulent « une Suisse
juste, solidaire, sans discrimination et ouverte ». C'et bien : nous ne
revendiquons donc pas une Suisse injuste, égoïste, discriminatoire et
fermée -les forces dont la politique équivaut à cela prenant en effet
bien garde de la farder de quelques rhétoriques dilatoires.
Ce qui sera revendiqué aujourd'hui dans nos cortèges, nos discours, nos
tracts, c'est ce que le premier parti socialiste créé à Genève résumait
dans son nom : « Parti de la République démocratique et sociale ». C'est
un siècle de conquêtes sociales, économiques et politiques qui ont
construit à la fois l'Etat social, l'Etat de droit et l'Etat acteur
économique, c'est-à-dire l'Etat tel que le projetait la
social-démocratie, un Etat capable de socialiser le capitalisme. Ce qui
signe l'abandon de l'ambition de l'abattre, et même, au-delà des
discours et des programmes, celle de le dépasser, puisqu'on en est à
vouloir le défendre sous la forme où la social-démocratie l'a
socialisé...
« La gauche se meurt, non pas parce qu'elle a échoué, mais parce qu'elle
a réussi » estime l'ancien président de SOS-Racisme, devenu député PS,
Malek Boutih -la gauche a « réussi » en ce sens qu'elle a réalisé son
programme, si on le réduit au programme social-démocrate. Et Malek
Boutih de proclamer que « les pays vraiment libéraux, ça n'existe plus
». A supposer d'ailleurs que de tels pays aient jamais existé, tant le
libéralisme économique a besoin de l'Etat qu'il fait mine d’exécrer dès
lors qu'il se mêle d'autre chose que de police, d'armée et de prisons.
Le problème, c'est que si « les pays vraiment libéraux, ça n'existe plus
», « les pays vraiment socialistes », ça n'a encore jamais existé, du
moins dans la durée et l'espace : la Commune de Paris, la Catalogne ou
l'Ukraine libertaires, furent socialistes, certes, mais pendant combien
de temps ? quelques semaines ou quelques mois, avant d'être écrasées -et
pour les deux dernières citées, de l'être au moins autant par les
staliniens que par les contre-révolutionnaires et les fascistes.
Bref, nous confie Malek Boutih, on n'a « plus besoin » de la
social-démocratie, puisqu'« elle est partout ». Même chez ceux qui la
combattent, depuis sa droite ou depuis sa gauche. Mais alors, de quoi,
de quelle force, de quel mouvement, de quelle culture politiques, a-t-on
besoin ? De l'increvable anarchisme, certes (là, ce n'est plus Boutih
qui parle mais nous...), mais encore ? Pourquoi pas d'un mouvement
socialiste à refonder, capable d'aller au-delà de la défense de ses
acquis, et de reprendre le chemin entamé il y a bientôt un siècle et
demi, lors de la fondation de la Première Internationale pour qui la
libération des travailleurs ne peut être l'oeuvre que des travailleurs
eux-mêmes, et pour qui cette libération passait par l'abolition de
l'Etat, du salariat et de la propriété privée ?
Ce n'est pas un programme réaliste ? Non, c'est un horizon. Et qui
attend d'un horizon qu'il soit atteignable ? Il suffit qu'il donne une
direction... et qu'on la prenne.
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