Elections britanniques : la gauche au nord du mur, la droite au sud...


Mémoires d'Hadrien

Un parti travailliste qui souffre, non sans qu'il y ait quelque justice à l'en faire souffrir, des années de dérives blairistes et de son alignement sur les conservateurs lors du référendum écossais, et un parti conservateur qui triomphe, mais dont la base électorale se concentre de plus en plus dans une partie congrue de la Grande-Bretagne, laissant l'Ecosse, le Pays de Galles, le nord ouvrier et la plupart des grandes villes à l'opposition travailliste ou "séparatiste" écossaise ou galloise : Le Mur d'Hadrien est un mur politique -la gauche au nord du mur (le parti national écossais est le plus à gauche des grands partis en lice), la droite au sud du mur (et même au sud du sud). Et les travaillistes ne peuvent s'en prendre qu'à eux-mêmes de leur défaite, et de la victoire, non pas conjointe, ni partagée, mais parallèle, de leurs adversaires conservateurs et de leurs concurrents écossais : ils n'ont pas convaincu de leur capacité d'être redevenus une alternative de gauche aux premiers, et ils paient leur opposition aux seconds lors du référendum sur l'indépendance de l'Ecosse, gagné par Londres grâce au Labour. Résultat : le grand vainqueur des élections est le Parti National Ecossais, le Premier ministre conservateur est reconduit dans ses fonctions sans majorité populaire et les chefs des trois partis défaits, les travaillistes, les libéraux et les europhobes, ont rendu leur tablier, chargé de trop de vestes...


Que protège le Mur d'Hadrien, et de qui  ?

Le système électoral britannique (la majoritaire à un tour) n'est sans doute pas moins démocratique que les autres (la majoritaire à deux tours à la française, ou la proportionnelle), mais il est celui qui produit les plus grandes distorsions entre les votes et leur résultat parlementaire. Il y a donc quelque chose d'un trompe-l’œil dans le résultat des élections britanniques de la semaine dernière -un trompe-l’œil qui a totalement égaré les "sondeurs", qui prédisaient un vote et un résultat serrés. Finalement, le parti vainqueur de ces élections, le parti conservateur, est loin d'être majoritaire dans les urnes (il n'obtient "que" 37 % des suffrages) mais il a la majorité absolue des sièges, le parti vaincu, le parti travailliste, est loin d'être écrasé (il obtient 31 % des suffrages, progresse même légèrement) mais perd 26 sièges), et le vainqueur réel du scrutin, le Parti National Ecossais (SNP) obtient 56 sièges (50 de plus) sur les 650 du parlement) avec 4,8 % des suffrages (et son allié gallois, le Plaid Cymru, 3 sièges avec 0,6 % des suffrages), alors que l'extrême-droite xénophobe n'en obtient qu'un seul avec 12,6 % des suffrages...

Au fond, le SNP se moquait royalement (peut-on se moquer "républicainement" ?) du résultat de ces élections hors d'Ecosse. Son projet est autre : il est celui de l'indépendance de l'Ecosse, dans l'Europe, mais il est aussi celui d'une politique rompant, en Ecosse, avec l'austérité. Car le SNP n'est pas seulement un parti "nationaliste", séparatiste : c'est aussi un parti de gauche. Ou plutôt, c'est un parti nationaliste devenu un parti de gauche, parce que le pouvoir auquel il s'oppose, celui de Londres, est de droite quand il est celui des conservateurs, et n'est pas pour autant de gauche quand il est celui des travaillistes "blairisés". Du coup, le SNP a évolué vers la gauche, s'est doté d'un programme social-démocrate (et pro-européen), ce qui, dans la configuration politique britannique, équivaut quasiment à un programme d'extrême-gauche. Un peu comme si, en Ecosse, le SNP prenait la place de Syriza en Grèce, de Podemos en Espagne ou, plus proche de lui, du Sinn Féin en Irlande... En Ecosse, en tout cas, il a pris la place du Labour, qui y a perdu 40 sièges et n'en garde qu'un seul.

Le Mur d'Hadrien avait été édifié par les Romains pour les protéger des incursions dévastatrices des Pictes. Qui protège-t-il aujourd'hui, et de qui ? La droite anglaise de la gauche (ou de la douche) écossaise ? La Grande-Bretagne de l'Europe ? L'Europe des anti-européens britanniques ? Le Premier ministre sortant et confirmé, David Cameron, a promis, pour se rallier les europhobes, un référendum sur le maintien du Royaume-Uni dans l'Europe mais a aussi promis qu'il se battrait pour ce maintien (du moins si l'Europe accepte de renoncer à faire respecter la libre circulation en Grande-Bretagne), en réponse à quoi les Ecossais, europhiles, ont annoncé que si les Anglais votaient pour la sortie de l'Europe, eux, les Ecossais, organiseraient un nouveau référendum pour leur sortie du Royaume-Uni et leur adhésion à l'Union Européenne en tant qu'Etat indépendant : si vous quittez l'Europe, nous quittons le Royaume-Uni !

Alors, on saluera la victoire du SNP en Ecosse comme une victoire de gauche. Même après la nôtre à Genève ce week-end, on n'en a pas tant que cela à célébrer, des victoire de gauche, en ce moment. Celle-là, on l'a célébrée en ouvrant une bouteille de Laphroaig : si vous avec entendu l'autre jour des pochards beugler, avec la scansion incantatoire de Malraux célébrant aux Glières les "deux pays qui résistent, la Yougoslavie et la Haute-Savoie", les "deux pays qui résistent, l'Ecosse et les villes de Genève", c'était nous.
On  devrait pas abuser du Pure Malt d'Islay...

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