Liberté d'expression, droit au blasphème : Fourest, sur le fond...


Au prétexte d'un débat tronqué à la télévision, samedi soir (dans l'émission "on n'est pas couchés" de Laurent Ruquier, sur France 2)  sur le livre de Caroline Fourest "Eloge du blasphème", on revient sur la liberté d'expression, ses limites (si elle en  a), son  caractère fondamental ou instrumental, et son rapport, précisément, à ce "droit au blasphème" que Caroline Fourest (comme d'autres) défend. Le débat, tronqué par l'un des faire-valoir de l'émission, ne fut sans doute ni un grand moment de télévision, ni un exemple de débat de fond, quoiqu'il ait plutôt bien commencé, avant de s'enliser dans le règlement de comptes, et, après s'en être extirpé, se soit plutôt bien terminé. Mais il nous a en tout cas décidé à acheter le bouquin de Caroline Fourest, à le lire et à vous inciter, quoique vous en penserez ensuite, à en faire autant. Parce qu'entre celle qui, en ce moment, risque sa peau (comme l'ont perdue ses copains de "Charlie Hebdo") en défendant et  en explicitant publiquement ce qu'elle écrit, et ceux qui ne risquent guère que leur place (et encore) en tentant de l'en empêcher, ou de détourner l'attention du fond pour la focaliser sur des détails, disons que le niveau de courage et d'engagement est assez inégal...
     
Ce droit au blasphème sans lequel toute liberté d'expression est illusoire et toute liberté religieuse amputée...


La tuerie de Charlie Hebdo ne débouche sur aucune question profonde et ne peut donner lieu à aucun "débat de société" digne d'intérêt » écrivait Nicolas Tavaglione, dans Le Courrier, deux jours après cette tuerie. Les manifestations massives de soutien à la liberté d'expression et de condamnation du terrorisme épurateur qui ont suivi le carnage furent bien un grand moment de respiration politique, de nettoyage des miasmes qui empoisonnaient le débat public, avec les Zemmour et les Le Pen en tête d'affiche d'un festival d'aigreurs tribales, mais tout de suite après les manifs, voire déjà en même temps qu'elles, le « Je suis Charlie » qui rassemblait les foules fut complété d'un « mais » le dévaluant, et ouvrant la voie à un plus franc « je ne suis pas Charlie », puis d'un « ils l'ont bien cherché »...
Caroline Fourest dut rappeler que « pendant toute son histoire, Charlie Hebdo a publié cent fois plus de caricatures contre l'Eglise catholique que contre les fanatiques musulmans ». Pour elle, et pour nous, « résister à la peur (...), c'est tout l'enjeu ». Non l'enjeu d'une « guerre des civilisations », ou d'une « guerre contre la barbarie » : l'enjeu d'une guerre contre la bêtise. Et contre l'hypocrisie qui, sitôt le carnage connu dans toute son ampleur, avait ouvert le festival des restrictions de solidarité, y compris en Suisse. Cela avait commencé par des protestations d'innocence de la religion au nom de laquelle le crime fut commis : c'est l'Institut culturel musulman de Suisse affirmant que « ces actes ne font pas partie d'une religion »  mais sont le faits d'individus « qui tuent au nom de leur phobie et mettent cela sur le compte de Dieu ». Qui, il est vrai, a compte ouvert quand il s'agit de couvrir des massacres... Le pas suivant, ce fut l'expression d'une certaine « ompréhension» pour les mobiles des assassins : ainsi,  le « Conseil national islamique suisse » se disant « choqué » par le carnage de Charlie Hebdo, s'est empressé de dire sa compréhension pour le « mécontentement répandu avec les provocations répétées du magazine satirique », tout en ajoutant que « cela ne justifie pas l'usage de la violence ». Mais sans doute celui de la censure préalable : Il ne faut pas tuer les dessinateurs et les écrivains mais seulement leur interdire de publier...
Or s'il est insupportable que l'on exige des musulmans qu'ils se désolidarisent d'actes comme le carnage de Charlie comme s'ils en étaient tous a priori complices, il l'est tout autant de les considérer comme ontologiquement incapables de supporter que l'on rie de tel ou tel aspect de leur religion (voire de leur religion elle-même) comme on rit de tel ou tel aspect du christianisme (voire du christianisme lui-même). Traiter l'islam comme on traite les autres religions n'est pas une manifestation d'islamophobie, mais une manière de poser un signe d'égalité entre elles, a rappelé Caroline Fourest (qui ne prône d'ailleurs pas une liberté d'expression sans limite, mais un « droit au blasphème » en tant que remise en cause des tabous). Se souvient-on, dans nos pays, de l'incroyable violence rhétorique des textes (et des images) lancés par les Réformateurs contre l'Eglise de Rome, qualifiée de « grande putain » et son pape d'«étron du diable» ? Si Charlie Hebdo s'en est pris à l'islam, c'est bien parce que l'islam fait désormais partie de notre « paysage religieux » et qu'un journal foncièrement irréligieux comme Charlie, ne pouvait pas ne pas s'en prendre à lui comme il s'en prend aux autres religions.

La France paraît bien seule en ce moment à défendre (mais pour combien de temps encore ?) ce droit à rire des dieux et des prophètes, et Caroline Fourest, Charlie Hebdo et quelques autres bien peu nombreux, à gauche à ne pas vouloir transiger sur ce droit, sans lequel toute liberté d'expression est illusoire, et toute liberté religieuse amputée. Et ce sont celle-là et ceux-là que l'on va accuser d'islamophobie, c'est-à-dire d'intolérance, alors qu'ils combattent précisément toute intolérance ?

Commentaires

  1. J'approuve entièrement ce que dit Pascal sur l'occultation du débat par Aymeric Caron et sur le courage de Caroline Fourest à ONPC. J'ai pourtant des réserves sur le titre du livre de CF, qui dévoie le "droit" au blasphème en son "éloge", ce qui est tout de même différent. Quand bien même elle argumente justement sur son caractère indispensable pour avoir triomphé des censures apostoliques, ce n'était pas le sens premier du 11 janvier, qui était comme le dit Pascal une contestation horrifiée du terrorisme comme réponse et non une apologie de la caricature de Mahomet ou autres. Ce détournement en éloge me gonfle. Eloge de la liberté d'expression, certes, mais pas de toutes les expressions, que chacun est en droit de trouver exécrables ou ignominieuses (en l'occurrence ce n'est pas mon cas) sans pour autant avoir le droit d'attenter aux droits et encore moins à la vie des auteurs.

    J'ai aussi exprimé un désaccord avec CF sur son espèce de fatwa contre l'emploi du terme "islamophobie". Pascal l'emploie, lui, tout à fait à bon escient dans le sens commun qu'il a dans nos contrées, celui d'un racisme et essentialisme anti-musulman, et le faire n'équivaut pas à s'aligner sur les exégèses et autres vaticination communautaristes, taxant d'islamophobe toute critique de l'islam comme religion.

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