A propos des budgets de Genève


Le trou et la corne (d'abondance)

Le Conseil administratif de la Ville de Genève a présenté mercredi dernier son projet de budget 2016, bénéficiaire de 1,3 million de francs sur une masse totale de plus de 1,4 milliard. Il n'est pas parfait, ce projet, il peut être amélioré, on peut y renforcer les engagements sociaux de la Ville, garantir la réalisation de projets déjà acceptés (le Pavillon de la Danse, par exemple, ou même la Nouvelle Comédie), ré-internaliser des fonctions actuellement sous-traitées à des privés (le nettoyage, par exemple), mais on conviendra qu'on est loin de l'état dans lequel les finances cantonales se retrouvent (avec un  trou prévu de 240 millions de francs) -et qui va servir de prétexte, à ceux-là même qui les ont mises dans cet état, de produire pour le coup un vrai budget cantonal de droite à côté duquel le budget municipal de gauche prendra des airs de corne d'abondance...


« Les finances de l'Etat ne tenaient debout que parce qu'elles en avaient l'habitude »  (Albert Camus, « Caligula »)

Depuis cinq ans qu'on sévit au Conseil Municipal de la capitale mondiale du monde mondial, on entend la droite et l'extrême-droite clamer, face à des budgets équilibrés, voire excédentaires, et à des comptes bénéficiaires, que tout ça ne va pas durer, que la catastrophe est imminente, qu'elle est  juste derrière la porte, qu'il faut l'anticiper, tailler dans les dépenses, «réduire la voilure». Mais la catastrophe, mauvaise fille : rechigne à survenir. Elle fait la fière. Elle boude. Elle reste à l'état de menace. Ou tombe sur le voisin cantonal. Du coup, comme le héros du Rivage des Syrtes (mais sans le romantisme et sans le style de Gracq), la droite, désespérée d'attendre la survenue d'une catastrophe qui se refuse à survenir, fait tout pour qu'elle survienne. En laissant la droite cantonale (les mêmes partis, et souvent les mêmes personnes, cumulardes siégeant au Grand Conseil et au Conseil Municipal) la provoquer : suppression de la taxe professionnelle, suppression de l'imposition dans la commune de travail, taux d'imposition des entreprises le plus bas possible...

On se doute bien qu'un projet de budget municipal qui propose de créer des places de crèches et de garderies, d'augmenter la participation de la Ville au groupement intercommunal pour l'animation parascolaire, de financer un fonds municipal pour créer 300 places d'apprentissage par année, d'augmenter les moyens nécessaires à l'entretien du patrimoine bâti et des routes, de créer une dizaine de postes supplémentaires, de transformer des « emplois de solidarité » en emplois statutaires et de lancer un programme « d'encouragement à l'innovation sociétale », on se doute bien qu'un tel projet n'allait pas s'attirer les applaudissements de la droite municipale. Surtout que le hasard du calendrier est cruel : c'est presque en même temps qu'ont été présentés le projet de budget municipal et les prévisions des comptes cantonaux,et qu'au lieu d'un excédent de 14 millions, c'est un trou de 240 millions qui mesurerait l'état des finances cantonales genevoises en 2015, a admis le Conseil d'Etat.  Explication : une chute des recettes fiscales : 205 millions de moins que prévu pour l'imposition des personnes, 35 millions pour celle des entreprises. La faute à qui, et à quoi, cette « nette dégradation  des résultats dans un contexte de « grande incertitude » avec des perspectives « peu réjouissantes », pour reprendre les mots déprimés du ministre des Finances, Serge dal Busco ? Ben, au marasme économique européen et chinois, au franc fort, à l'âge du capitaine, à la canicule, à la malice des temps, tout ça... mais pas du tout aux cadeaux fiscaux distribués par la droite ces dernières années. Non, pas du tout. Quand c'est la merde, c'est forcément la faute à la conjoncture, jamais à la politique qu'on mène. La politique qu'on mène, elle n'est responsable que des bons chiffres -version comptable du fameux dicton : « la victoire a de nombreux pères, la défaite est toujours orpheline »...

Comme le rétablissement des ressources fiscales n'est pas à l'ordre du jour de la majorité politique cantonale (il lui faudrait revenir sur les cadeaux qu'elle a accordés) on va faire combler le trou par la fonction publique, en taillant dans les dépenses sociales ou en renonçant aux investissements culturels (comme la Nouvelle Comédie) et en laissant, comme d'hab', la Ville de Genève les assumer... Une nouvelle loi sur la culture est entrée en vigueur, on est en train de phosphorer sur une nouvelle répartition des tâches entre le canton et les communes en général et la Ville en particulier, et patatras ! Un gros trou noir vous avale tout ça, et tous les beaux discours et tous les grands engagements qui allaient avec. Le canton pourrait, comme le souhaitent l'UDC, le MCG et une bonne moitié du PLR,  ne pas financer la Nouvelle Comédie et laisser la Ville se débrouiller seule ? si telle devait être le sort réservé à la proposition de financer ce projet, ce n'est pas la Nouvelle Comédie qui en serait la première victime, mais la loi sur la culture et tout le fatras déversé pour justifier la « nouvelle répartition des tâches ».
De la vertu pédagogique des impasses budgétaires...

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