Convention et Cour européennes des droits de l'homme : Des juges ou des droits étrangers ?


Le 28 novembre de l'année dernière, on a (ou aurait du) célébrer le 40e anniversaire de la ratification par la Suisse de la Convention Européenne des droits de l'Homme -une ratification qui impliquait l'acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour européenne de Strasbourg. L'UDC avait, à sa manière, célébré cet anniversaire, en remettant en cause cette juridiction, en annonçant le lancement d'une initiative inscrivant dans la Constitution fédérale le principe (à rebours de toute l'évolution du droit depuis 1945...) la primauté du droit de l'Etat sur le droit international (celui de la Cour européenne, en l'occurrence). La Cour européenne a en effet un rôle, une fonction, insupportable aux udécistes : celle de faire respecter les libertés individuelles (et collectives) proclamées dans la convention européenne. Et dans la constitution suisse : "Tout comme la démocratie directe ou le fédéralisme, les droits de l'homme sont indissociables de la Suisse", déclare (optimiste) Simonetta Sommaruga. Dès lors, "un juge qui veille à la défense des droits de l'homme peut-il vraiment nous être étranger ?", s'interroge la présidente de la Confédération. A nous étranger, certainement pas -du moins pas plus que n'importe quel juge indigène. Mais à l'UDC, apparemment oui. Mais ce n'est pas tant ce juge qui lui est étranger que  la Convention européenne des droits de l'homme elle-même... et l'idée même de droits plus fondamentaux que les décisions d'une majorité électorale ou référendaire.

Quand les "juges étrangers" deviennent les avocats des Suisses...


Depuis que la Cour européenne des droits de l'Homme a osé reprendre (la première fois en 1988) la Suisse pour des violations de la Convention européenne ratifiée par notre beau pays en 1974, on entend dire, d'abord comme un murmure puis, crescendo, jusqu'à la commination, qu'il faut dénoncer cette convention qui piétinerait le pouvoir absolu, et absolument démocratique, d'un pays et d'un peuple de s'asseoir sur des normes internationales quand bon et beau lui semble.
La Convention européenne des droits de l'homme (CEDH), qui n'émane pas de l'Union Européenne mais du Conseil de l'Europe (dont la Suisse est membre, comme tous les Etats européens, Russie comprise -à l'exception de la Biélorussie et du Kosovo). Ce texte proclame les droits des habitantes et des habitants de ces 47 Etats -et donc, les droits des Suissesses et des Suisses. Pour veiller au respect de ces droits, et de cette convention, le Conseil de l'Europe a créé la Cour européenne des droits de l'homme, devant laquelle (et elle est la seule à le leur permettre) des individus peuvent porter plainte contre des Etats. Comme, en Suisse, des individus peuvent porter leur cause devant le Tribunal pour que les droits que leur garantit la Constitution fédérale soient respectés. On est donc dans un paysage connu : celui de la hiérarchie du Droit (le droit national -fédéral en Suisse- prime le droit régional -cantonal en Suisse) qui prime le droit local -municipal, et au sommet de cette hiérarchie, le droit international prime tousa les autres), et d'instruments permettant de faire respecter cette hiérarchie et les normes de droit qu'elle hiérarchise. Or, si on n'entend guère contester en Suisse le primat du droit fédéral sur le droit cantonal, la droite de la droite (euphémisme pour "extrême-droite"...), récemment rejointe par le PLR, s'est mise en campagne contre le primat du droit international sur le droit fédéral. Avec cet argument morgenstern : le droit fédéral est voté par le peuple, et le peuple a toujours raison. En l’occurrence, contre "les juges étrangers" de la Cour européenne (qui sont d'ailleurs assez souvent des juges suisses...). Mais si le peuple suisse devait "toujours avoir raison" contre les juges européens, pourquoi diable le peuple genevois n'aurait-il pas, lui aussi, toujours raison contre les juges du TF ? Et le peuple de la Ville de Genève contre ceux de la Cour constitutionnelle cantonale ?

Les droits fondamentaux garantis par la constitution ont besoin d'une garantie supplémentaire, dès lors que la constitution peut être modifiée et ces droits bafoués sur un mouvement d'humeur. La liberté d'expression, le droit à l'assurance-invalidité, le droit de vote, même, peuvent être attaqués par une initiative constitutionnelle -la convention européenne des droits de l'homme, elle, en étant supérieure à la constitution, garantit celle-ci de ce genre d'attaques. La hiérarchie des normes est ainsi une garantie des droits fondamentaux : en démocratie, la majorité n'a pas toujours raison, elle n'a que le pouvoir -or tout pouvoir doit être limité par un contre-pouvoir, ne serait-ce que pour préserver les droits des minorités (politiques, sociales, culturelles...) et la CEDH joue précisément ce rôle... Elle est ainsi non une limitation, mais une garantie des droits que la constitution suisse accorde aux Suisses. Une garantie, en résumé, de l'Etat de droit lui-même -un Etat limité par le droit, et pas seulement par le sien, mais par un droit supérieur au sien.  La Convention et la Cour européenne sont le texte et l'instrument par lequel les citoyennes et les citoyens suisses peuvent se défendre contre des violations de leurs propres droits -les fameux "juges étrangers" devenant ainsi les avocats de ceux-là même au nom desquels la droite de la droite prétend parler : les Suisses...
Bon, tout ceci étant dit, empressons-nous d'ajouter qu'il n'y faut pas voir une déclaration d'amour aux juges, aux cours et aux lois -mais seulement l'utilité qu'il y a, et même parfois, avouons-le, le plaisir qu'on peut prendre, à les jouer les uns
et les unes contre les autres. Parce que dans ce jeu se dessinent des espaces de liberté.

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