Grèce : la victoire désenchantée de Syriza


    
Tsipras, par défaut

On les avait enterrés un peu vite sous les pelletées d'"austérité" du mémorandum européen, Alexis Tsipras, et son parti avec lui... or ce sont eux (lui, surtout) qui viennent de gagner largement les élections législatives anticipées, avec une marge qu'aucun sondage n'avait prévue. Et c'est leur troisième victoire électorale, après celles des législatives de janvier et du référendum de juillet. Il y avait pourtant de la résignation et du désenchantement dans la campagne électorale. De la résignation à un "vote utile" pour Syriza, un vote par défaut d'un autre choix pour éviter le retour de la droite au pouvoir ("la restauration de l'ordre ancien", dénonçait Tsipras) et du partage du pouvoir entre la "Nouvelle Démocratie" et le Pasok, la première étant aussi nouvelle que le second est socialiste, et du désenchantement à l'égard  de Syriza, même si Alexis Tsipras est l'homme politique le plus respecté par les citoyennes et les citoyens. Ces élections se jouaient entre Syriza et la "Nouvelle Démocratie", les petits partis ne pouvant au mieux (comme celui des "Grecs Indépendants") que jouer un rôle d'appoint à l'un ou l'autre des deux grands, pour lui permettre d'obtenir une majorité parlementaire : le PASOK (socialiste d'étiquette, clanique de réalité) est toujours moribond, l'"Unité Populaire" issue de la gauche de Syriza n'a pas eu le temps de rassembler plus qu'une petite minorité des déçus de la gauche gouvernementale, le Potami (centriste europhile) est sans implantation populaire, les communistes sont fossilisés dans leur sectarisme et les néonazis d'"Aube Dorée" (qui restent tout de même la troisième force politique du pays) sont infréquentables... Dès lors, le choix était simple : Tsipras, qui d'autre ?

«S’ouvre la voie du travail et des luttes»


Alexis Tsipras et Syriza ont donc, une fois de plus, gagné -mais avec une abstention considérable, ce qui, dans un pays où le vote est obligatoire, a un vrai et fort  contenu politique -celui d'une protestation, d'un refus, d'un renvoi dos à dos de tous les prétendants à une élection. Et si Tsipras et Syriza ne font plus rêver en Grèce, ils ne font plus peur en Europe : François Hollande et Martin Schulz les ont chaudement félicité de leur  victoire, comme si la "gauche radicale" grecque revenait au bercail, dans la "vieille maison" social-démocrate vidée des meubles du Pasok mais tapissée des pages du "Memorandum" européen.

Il n'y eut dans la campagne électorale grecque pas de débat réel, profond, mobilisateur sur une quelconque alternative politique au respect du memorandum européen. Devenue gouvernementale, et s'étant résignée, contrainte par un rapport de forces européen désastreux, d'accepter le diktat des créanciers, Syriza ne pouvait plus mener campagne sur le même ton que celui qui l'avait conduite au pouvoir. Sa carte maîtresse, et même sa seule carte, son seul atout (mais il était de poids) c'était Alexis Tsipras. Et aucune force politique ne pouvait réenchanter un paysage politique désenchanté : les uns (Nouvelle Démocratie, Pasok) parce qu'ayant alterné au pouvoir pendant quarante ans ils ne peuvent représenter une alternative à quoi que ce soit, les autres (Potamos) parce que leur europhilie est totalement contradictoire du sentiment dominant (et justifié) porté par les Grecs à l'égard d'une Union Européenne instrumentalisée par les créanciers du pays, d'autres encore, à gauche (les communistes, l'Unité Populaire) parce qu'à force de proclamer être la gauche à eux tout seuls ils finissent immanquablement par être les seuls à y croire, ou à droite de la droite (Aube Dorée) parce qu'ils représentent ce qu'un champ politique pluraliste peut produire de pire à ses marges.

«S’ouvre la voie du travail et des luttes», a déclaré Alexis Tsipras, après la confirmation de sa victoire. Et du travail il y en a, et des luttes il en faudra : quelque eût pu être le résultat des élections d'hier, les perspectives étaient les mêmes, dessinées par le résultat du bras de fer avec les créanciers du pays: austérité, impôts nouveaux, privatisations, contrôle extérieur sur les choix budgétaires et législatifs...  L'alternative, malgré la tentative d'"Unité populaire" de présenter la sienne, était réduite à choisir entre plus ou moins d'obéissance au diktat de la "troïka", plus ou moins d'inventivité dans l'exploration des rares espaces d'autonomie politique, de capacité de décision, laissés par la tutelle européenne. Ce sont dans ces espaces qu'Alexis Tsipras et Syriza vont tenter de glisser des mesures de compensation, pour la population, des effets du plan de rigueur imposé par les créanciers. Car la crise financière grecque a eu des effets dévastateurs pour les Grecs : Le poids de la dette atteindra peut-être les 200 % du PIB l'année prochaine, le taux de chômage est estimé à 28 % en moyenne, à 60 % pour les moins de 25 ans, la paupérisation de couches de plus en plus large de la population s'accroît, comme l'exil de la population active la mieux formée...

La défaite de Syriza aurait été celle de toutes les gauches européennes, "alternatives", "radicales" ou non. Une défaite aussi pour Podemos, pour die Linke, pour le Front de Gauche, pour Jeremy Corbyn. Une sorte de proclamation du genre de celle faite en son temps par Margaret Thatcher : il n'y a pas d'alternative à l'acceptation des règles libérales, des "lois du marché" et du pouvoir de ses servants politiques, économiques et idéologiques. On peut toujours condescendre à laisser les citoyennes et les citoyens élire des hommes et des femmes de gauche, mais ils et elles feront la même chose que des hommes ou des femmes de droite : ils plieront devant ces règles. En faisant des manières, en faisant la gueule ou en faisant semblant de ruser, mais ce ne sera qu'un jeu d'apparence, une posture : elles et ils plieront. Comme Tsipras a plié. Et s'ils ne plient pas, ils seront chassés. Et ceux qui par avance refusent de plier seront marginalisés. Comme en Grèce les communistes ou "Unité populaire". Droits dans leurs bottes mais seuls dans leurs champs.

Les Grecques et les Grecs ont produit hier un vote désenchanté ? Et réenchanter la politique sans mentir à quiconque, ni se mentir à soi-même : la gauche grecque n'est pas seule à devoir relever ce défi.

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