Jeûne Genevois en temps d'exils : Passer de l'affliction à la solidarité


   
Jeudi, c'était le Jeûne Genevois. Un jour férié depuis 1966, célébré pour la première fois par les Genevois en octobre 1567 pour témoigner de leur affliction (et de leur solidarité avec les victimes) après un massacre de huguenots lyonnais, puis à nouveau, et pour les mêmes raisons et le même témoignage, le 3 septembre 1572, lorsque fut connu à Genève le massacre de la Saint-Barthélémy. Historiquement, ce jeûne est confessionnel -mais qui, aujourd'hui, dans feue la Rome Protestante, déguste sa tarte aux pruneaux par adhésion calviniste ? Le Jeûne était marque d'affliction et de solidarité ? Il peut l'être toujours -les raisons d'être affligés et les causes, et les gens, avec qui être solidaires ne manquent pas. Nous pouvons l'être avec ceux qui par centaines de milliers frappent aux portes de l'Europe quand ils y arrivent vivants. Cette élémentaire solidarité, on aura l'occasion de la manifester à Genève (la "Cité du Refuge", donc...)  samedi, à 15 heures, dans le cadre d'une journée d'action internationale pour l'ouverture des frontières, pour une Europe disant "bienvenue" aux réfugiés. Les larmes devant la photo du petit cadavre d'Aylan, l'indignation à l'annonce de la découverte de 70 réfugiés morts étouffés dans un camion frigorifique, la consternation devant la récurrence des naufrages en Méditerranée, ne sont qu'impuissantes tant qu'on ne sera pas allé au-delà de l'émotion. Qu'on ne sera pas passé de l'affliction à la solidarité.

... comme mes ancêtres sont arrivés vivants en Suisse, au XVI siècle


Des milliers de kilomètres de murs et de barbelés sont installés pour tenter d'empêcher les gueux d'entrer vivants dans nos pays. A ces murs et ces barbelés s'ajoutent tous les dispositifs légaux et réglementaires de tri et d'enfermement de ceux qui sont tout de même entrés. Mais ni les murs, ni les barbelés, ni les lois, ni les vexations n'ont d'autre effet que d'enrichir les mafias de passeurs vivant précisément de la difficulté de passer. Et peu leur importe à eux que les migrants arrivent vivants ou morts aux pieds des murs : ils les auront fait payer avant leur départ, et s'enrichissent autant des vivants que des morts.
"Il est facile de couper des fils de fer barbelés et d'accueillir des gens. C'est un des gestes les plus simples qui soit", nous dit Ruth Dreifuss, dans "Le Matin Dimanche". C'est vrai : il est plus facile de couper des barbelés que de les installer. Mais allez expliquer ça à des gens pour qui les barbelés, les murs, les miradors, les garde-frontières, tiennent du fétiche, de l'icône, du totem... Pour réduire l'immigration  en général, et les requêtes d'asile en particulier, "Il faut restreindre l’attractivité de la Suisse !" proclame la présidence de l'UDC genevoise, Céline Amaudruz, dans la lettre électronique" de ladite UDC genevoise. C'est vrai que quand la Suisse ressemblera à la Syrie ou à l’Érythrée, plus personne n'y requerra l'asile politique. C'est la solution nord-coréenne : pas de requérants d'asile, pas d'immigration économique.

La journée d'action internationale pour l'ouverture des frontières, pour une Europe disant "bienvenue" aux réfugiés, dont la manifestation genevoise de samedi (15 heures, place Neuve) est l'un des moments. On y dira ce qu'on a à répondre aux dégueulis racistes qui submergent en ce moment réseaux sociaux et courriers des lecteurs : qu'il n'y a rien de mieux, et sans doute même rien d'autre à faire, qu'agir pour que les moyens colossaux consacrés à repousser les migrants soient consacrés à les accueillir comme des réfugiés. Que l'on cesse de trier entre les bons immigrants utiles et les mauvais immigrants importuns (comme chacun sait, le tri est facile à faire : le bon immigrant fuit l'impôt. Le mauvais immigrant ne fuit que la guerre et la misère). Que l'on cesse d'enrichir les mafias de passeurs vivant des barrières dressées sur le passage. Que l'on ouvre les frontières au lieu de les fermer. Que l'on réintroduise la possibilité de déposer une demande d'asile dans le pays de départ, dans les ambassades des pays de destination. Que l'on renonce à mettre en prison les immigrants illégaux et les requérants d'asile déboutés. Que l'on renonce à les renvoyer dans des pays d'où ils repartiront pour tenter de revenir là d'où on les a renvoyés, ou ailleurs, juste à côté.

Ceux qui veulent entrer entreront, s'ils sont vivants, et rien, aucune barrière, aucune frontière, aucun mur, aucuns barbelés, ne les en empêcheront -sauf à les tuer. Même sans guerres, sans famines, sans épidémies, sans misère (mais plus encore, évidemment, avec...) l'état normal de l'humanité depuis toujours, c'est la migration. La terre tourne autour du soleil, les hommes tournent sur la terre, et ceux-là même qui beuglent aujourd'hui qu'il faut fermer les portes de leurs pays, ou de leur continent, ne sont dans ces pays et sur ce continent que parce que leurs ancêtres y ont migré. Et y sont arrivés vivants.
Comme les miens sont arrivés en Suisse, et à pied, au XVIe siècle.

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