Le tripartisme, une arme contre le populisme ?


Un accord inédit contre la sous-enchère salariale et sociale
       
        La faiblesse de la gauche (politique et syndicale) suisse s'est jusqu'à présente traduite par la faiblesse des dispositifs de lutte contre la sous-enchère salariale et sociale, qu'elle n'arrive pas à renforcer suffisamment pour priver d'efficacité électorale le discours isolationniste et discriminatoire de l'extrême-droite. Et cette faiblesse de la gauche s'est aussi traduite en son sein par le renforcement de la contradiction entre deux vieilles tendances, l'une protectionniste et social-xénophobe, l'autre acquise à la libre-circulation des personnes et à la fin des frontières. A Genève, un accord original a été passé entre les syndicats, le patronat et l'Etat, pour renforcer l'Inspectorat cantonal du travail et créer un nouvel instrument, une nouvelle inspection du travail, paritaire. A défaut d'être, ce à quoi il ne prétend pas, LA réponse définitive à la sous-enchère salariale et sociale et à son exploitation par l'extrême-droite, cet accord manifeste au moins la reconnaissance du rôle essentiel des organisations de travailleurs dans la lutte contre la mise en concurrence des travailleurs entre eux.


Une réponse intelligente aux délires clostrophiles

Une « Inspection paritaire des entreprises », considérée comme une commission officielle, devrait être créée à Genève. Formée de 24 inspecteurs et inspectrices désignés, en nombre égal, par les syndicats (la Communauté genevoise d'action syndicale) et le patronat (l'Union des associations patronales de Genève), elle aura les mêmes compétences que l'Office cantonal de l'inspection et des relations du travail (qui gagnera huit postes pour disposer lui aussi de 24 inspecteurs et inspectrices), à l'exception du pouvoir de prononcer des sanctions (l'OCIRT garde seul ce pouvoir). Cette proposition, qui devra être approuvée par le Grand Conseil, est un contreprojet à une initiative syndicale qui allait  plus loin, mais qui formulait des exigences que l'accord reprend, quant au fond.

Genève a beau être le canton le plus actif et le mieux (ou le moins mal) doté en inspectorat du travail (le tiers de tous les contrôles effectués en Suisse l'ont été à Genève, en 2014), il n'y a actuellement au bout du lac qu'un inspecteur ou une inspectrice pour 20'000 employés. Autant dire qu'il est impossible à l'OCIRT de remplir réellement son rôle d'inspection. L'accord tripartite, s'il est traduit en projet de loi (si tel n'est pas le cas, l'initiative syndicale devra y pourvoir) quadruplera les moyens d'inspection en les élevant à deux inspecteurs ou inspectrices pour 10'000 employés, les rapprochant  ainsi du nécessaire dans un canton frontalier, à forte main-d'oeuvre immigrée ou frontalière et à fort développement économique. Genève n'est cependant pas seule à avoir besoin de forces supplémentaires pour contrôler le respect des lois et des conventions collectives, et des propositions comparables à celles qui sont faites ici le sont au Tessin, à Zurich et à Bâle-campagne, et l'Union syndicale suisse a reçu de son congrès mandat d'étudier une initiative populaire voisine de celle qui avait abouti à Genève.
Au moment de l'aboutissement de l'initiative syndicale, le patronat l'avait dénoncée comme une tentative de main-mise syndicale sur l'inspection du travail -l'initiative prévoyait en effet que les inspecteurs et inspectrices devaient être désignés seulement par les syndicats. L'accord partage cette compétence entre syndicats et patronat, ce qui a levé l'opposition de ce dernier -sans toutefois garantir que ses relais habituels au parlement s'y rallient. Reste que si le projet de loi qui reprend l'accord recueille l'aval du parlement cantonal, l'initiative sera retirée, sinon elle sera soumise au peuple, avec de grandes chances d'être acceptée. Cette probabilité n'est d'ailleurs sans doute pas pour rien dans l'adhésion des organisations patronales au dispositif proposé, le patronat genevois n'ayant en outre aucun intérêt au renforcement du protectionnisme xénophobe.

Les trois partenaires de l'accord y voient une réponse à l'inquiétude qui a poussé une majorité de Suisses (et une minorité de Genevois) à accepter l'initiative udéciste contre «l'immigration de masse». Disons qu'en tous cas, la réponse, concrète, limitée, que donne l'accord tripartie genevois à cette inquiétude, si elle n'est évidemment pas de nature à mettre fin à la mercantilisation du travail, ni à la xénophobie, est infiniment plus intelligente (il n'y a là aucune performance) et politiquement infiniment plus légitime (il eût été difficile, admettons-le, de l'être moins) que les délires clostrophiles de la droite de la droite d'au fond à droite de la prairie du Grütli.
Là où paissent les vaches et meuglent les démagogues.

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