Deuxième tour de l'élection genevoise au Conseil des Etats : la gauche et les droites


Il n'y aura pas à Genève de choc frontal entre toute la gauche et toute la droite lors du deuxième tour de l'élection au Coneil des Etats. Pas d'affrontement "bloc contre bloc", mais un  affrontement "blocs contre blocs" : la gauche (PS, Verts, EàG) avec la socialiste Liliane Maury Pasquier et le Vert Robert Cramer, la droite (PDC, PLR) avec le radelibe Benoît Genecand, la droite de la droite (UDC, MCG) avec l'udéciste Yves Nydegger et le èmecégiste Eric Stauffer, chaque bloc contre les deux autres. Le MCG a échoué dans sa tentative de négocier son pouvoir de nuisance contre une reconnaissance de la nécessité pour le PLR de s'allier avec lui, l'UDC, plombée par un partenaire teigneux et revanchard, a échoué à se faire reconnaître comme un élément constitutif de la droite gouvernementale plutôt que comme son réservoir électoral en cas d'élection majoritaire, et le PLR a échoué dans sa pêche aux électeurs UDC et MCG. Seul le PDC (cantonal) se tire avec les honneurs (et sous les insultes du MCG) de ce maquignonnage burlesque, pour avoir refusé d'y prendre part (le PDC municipal, cependant, regardant courageusement ailleurs pendant que le président MCG du Conseil municipal de la Ville, élu grâce aux voix PDC, traitait le président du PDC cantonal de "traître" et de "petit ignare connaissant autant la stratégie politique que mon chien". Le pardon des offenses est sans doute une vertu chrétienne, mais poussé à ce niveau, il tient plutôt d'une pratique masochiste.

De la droite à la droite "élargie", puis "distendue", et enfin "dilatée"...

La gauche contre la droite, la droite de la droite contre la gauche mais aussi contre la droite pour lui faire payer son refus de s'allier avec la droite de la droite contre la gauche : n'importe quelle girouette y trouverait à grincer, mais est-ce qu'avoir affaire à une "triangulaire" plutôt qu'à un duel changera quelque chose au résultat de l'élection des représentants genevois au Conseil des Etats ? Sans doute pas, sinon dans ses proportions. En revanche, cela clarifie les fronts : comme il y eut naguère (et qui peut réadvenir) les gauches, il y a, aujourd'hui comme hier, et à Genève comme ailleurs, les droites. Ce qui situe clairement le MCG là où il sévit : à droite de la droite de l'UDC, et non là où il lui arrive encore, parfois, de tenter de faire croire qu'il puisse être, "ni à gauche, ni à droite".

Au sens restrictif, parlementaire, la droite à Genève c'est l'Entente, cette coalition octogénaire créée contre le PS de Léon Nicole et rassemblant les libéraux, les radicaux et les démocrates-chrétiens ("indépendants chrétiens-sociaux") de l'époque. L'extrême-droite, alors, c'était l'Union Nationale, ouvertement fasciste, de Georges Oltramare, force d'appoint de l'Entente si besoin était, mais tenue à distance et utilisée en se bouchant les naseaux. Et la "droite élargie" d'aujourd'hui, alors ? C'est l'Entente plus l'UDC, arrivée tardivement sur le marché genevois mais ayant pris une place vacante depuis la disparition du groupement "Vigilance", né dans les années soixante et mort à vingt ans. De la droite "élargie" on passe à la droite "distendue" lorsqu'on y intègre (ou qu'on essaie) le MCG, sorte de "ligue genevoise" rassemblant les surplus et les invendus d'à peu près tous les autres partis. Et de la droite "distendue" on passe à la droite "dilatée" quand on s'aperçoit, comme le dit le président du PDC cantonal, que, décidément, "on ne peut rien construire avec de tels guignols" (le MCG, donc). Sauf apparemment en Ville de Genève où le silence des agneaux démo-chrétiens municipaux devant les insultes adressées par le MCG aux démo-chrétiens cantonaux tient de la catacombe.

Ce sont deux conceptions totalement contradictoires de l'Etat (sauf sur ses aspects purement répressifs), de la société, de la citoyenneté, de la démocratie, dont sont porteuses les deux droites, et seule leur commune détestation de la gauche peut les réunir dans un front -auquel on voit assez mal le PDC adhérer... quoique le PDC municipal de la Ville de Genève ait trouvé judicieux de s'y risquer, en oubliant qu'il était avec le PS le vainqueur des dernières élections municipales et qu'il n'avait donc pas besoin de poser le pied là-dedans, même en espérant que cela puisse lui porter bonheur.

Le rapport électoral des forces dans le canton, entre la gauche, la droite démocratique et l'extrême-droite (ou la « droite de la droite », si vous préférez les euphémismes) s'établit ainsi : la gauche (PS, Verts, Ensemble à Gauche et listes annexes -jeunes- vieux, expats etc...) est à 37,46 % des suffrages, la droite (PLR, PDC, Verts libéraux, PBD, PEV et listes annexes) est à 36,45 % des suffrages, l'extrême-droite (UDC, MCG, UDF et listes annexes) est à 25,73 % des suffrages...  Si on admet l'hypothèse d'un champ politique occupé par trois "blocs" (qui sont d'ailleurs tous les trois plutôt des agrégats), la gauche et les deux droites, le bloc de gauche est toujours le plus important, quoique de fort peu. Or dans une élection au scrutin majoritaire, comme celle des Conseillers aux Etats, il n'est ni inconvenant ni antidémocratique que l'alliance la plus importante emporte les sièges en jeu. Tous les sièges si l'électorat en décide ainsi. Même si elle ne devance sa première concurrente que de peu. Il n'y a pas d'autre "monopole de gauche" sur la représentation genevoise au Conseil de Etats que celui accordé à la gauche par les citoyennes et les citoyens, dans une élection majoritaire où la gauche est relativement majoritaire.  Si cette conséquence logique d'un système majoritaire, qui distord les rapports de force proportionnels, est insupportable, il ne sert à rien de hurler au déni de démocratie : il faut, comme dans le Jura, appliquer le système proportionnel aux deux Chambres, et pas seulement à la Chambre basse -ainsi assurerait-t-on une représentation sénatoriale genevoise partagée durablement entre la gauche et la droite. Avec pour conséquence, évidemment, de voir l'impact parlementaire de cette représentation réduit à la nullité, puisque sur tous les enjeux où s'opposent la gauche et la droite, les deux représentant--e-s genevois-e-s voteraient en sens rigoureusement inverse l'un-e de l'autre, la présence d'un Genecand aux côtés de Liliane Maury-Pasquier ayant ainsi à peu près le même effet qu'aurait leur absence du parlement.

Or pour essayer de surnager dans le deuxième tour l'opposant à la fois à la liste de gauche et à la liste de, au choix, l'extrême-droite ou la droite de la droite, le candidat PLR Benoît Genecand concentre son tir électoral sur le candidat des Verts, le Conseiller aux Etats sortant Robert Cramer, avec cette étrange recommandation (qui  se traduit plus clairement par "votez pour moi et n'importe qui sauf Cramer" -les Verts libéraux ont malignement annoncé qu'ils allaient précisément voter pour Cramer et  Genecand...) :  "si vous voulez une (bio) diversité politique à Berne, votez : Liliane Maury Pasquier - Benoit Genecand". Outre que, pour qui connaît un peu Liliane Maury Pasquier et Robert Cramer, leur duo ne paraît pas manquer de "bio-diversité", c'est bien, sur tous les grands enjeux sociaux, énergétiques et environnementaux, à une absolue inefficacité de la représentation genevoise au Sénat helvétique qu'aboutirait le couple chimérique de la socialiste et du radelibe.

Est-ce de s'être dilatée que la droite genevoise est prête à vaporiser l'influence de Genève au Conseil des Etats ? Que la Parvulissime République soit représentée par deux élus de gauche au Sénat, on conçoit que cela puisse être insupportable à la droite. Mais qu'elle en soit réduite à revendiquer une représentation dont chaque membre annulerait le vote de l'autre en suppliant le ban et l'arrière-ban de son électorat de voter pour "Genecand et n'importe qui d'autre sauf pour Cramer", pose sur son propre état un diagnostic inquiétant.
Auquel cependant une médication douce peut remédier : une dose de Maury-Pasquier, une dose de Robert Cramer, à prendre en même temps...

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