Elections fédérales : retour en 2007...


Le PS, qui d'autre ?

"La droite revient", nous annonçait déjà samedi "Le Temps", en présentant cette annonce comme le "seul pronostic que l'on peut hasarder pour les élections fédérales". "La droite revient" : elle était donc partie ? cela, avouons-le. nous avait échappé. En fait, hier, on est un peu revenu en arrière, en 2007, lors du dernier triomphe de l'UDC (qui avait d'ailleurs précédé l'éviction de Blocher du Conseil fédéral). L'institut Sorono avait tenté, la semaine dernière, une prévision du résultat des élections non en pourcentage de suffrages mais en nombre de sièges. Exercice difficile puisqu'il fallait tenir compte des résultats en suffrages dans 23 cantons, pour deux élections différentes (l'une à la proportionnelle, l'autre à la majoritaire) dans chaque canton- or le résultat final est en gros celui que suggérait Sorono : un rapport de force changé au profit de l'aile la plus droitière du parlement, mais sans qu'elle obtienne la majorité absolue (paradoxalement, c'est le Conseil des Etats, naguère considéré comme un bastion de la droite, qui prive aujourd'hui le PLR et l'UDC de cette majorité absolue) sauf à détourner du droit chemin centriste une partie du PDC. Et à gauche, quoi de nouveau ? Le recul des Verts et, malgré la belle élection à Neuchâtel de Denis de la Reussille (qui devra siéger au sein du groupe socialiste, s'il ne veut pas faire tapisserie), la stagnation dans sa marge de la "gauche de la gauche" laissent le PS en position hégémonique -mais dans un camp à la surface électorale réduite. Le PS, qui d'autre à gauche ? Dans les urnes, plus grand monde... Reste la rue, d'où tout vient.


Anus russum ad armillum

Le résultat de l'élection d'hier nous fait donc, pour la droite, revenir quatre ou huit ans en arrière : l'UDC et le PLR reprennent le terrain perdu il y a quatre ans pour la première, depuis huit ans pour le second. C'est au centre et à gauche que ce retour de la droite se paie : au centre, avec la quasi dissolution des Verts libéraux, même si le PDC résiste et que le PBD est loin de s'effondrer, et à gauche, avec la lourde défaite des Verts. Accessoirement, on notera que ces résultats consistent en une victoire, en sièges et en suffrages, des deux partis qui avaient le plus de pognon à claquer pour leur campagne -on n'entendra peut-être plus, pendant quelque temps, dire que "l'argent ne fait pas le résultat" : disons qu'au moins il y contribue largement. Sans d'ailleurs faire baisser l'abstention : le parlement fédéral n'a été élu que par la moitié d'un corps électoral dont le tiers de la population est exclu, pour des raisons d'âge ou de nationalité -ce qui signifie que le "grand vainqueur" d'hier, l'UDC, ne rassemble que 10 % de la population... c'est évidemment plus que les autres (le PS, qui suit, rassemble en gros 6,5 % de la population), mais cela ne l'autorise pas à en faire la Suisse à lui tout seul, la gauche pesant autant que lui...

Pour autant, l'UDC n'a pas attendu que tombent les résultats définitifs au plan national pour crier victoire et exiger (de qui, sinon du PLR ?) un deuxième siège au gouvernement fédéral. On se contentera ici de rappeler, au milieu d'un déferlement de supputations sur ce que ce résultat implique pour la composition du gouvernement fédéral, comme si l'élection d'hier n'était qu'une sorte de formalité, que ce n'est pas ce gouvernement qu'on vient d'élire, mais le parlement (et encore, pas en entier : la Chambre haute ne sera élue qu'au terme d'un deuxième tour). C'est le parlement qu'on a élu hier. Mais c'est sur l'élection du gouvernement (par ce parlement) dont on va beaucoup s'interroger dans les deux prochains mois, et sur le sort de la fameuse "formule magique" de composition du gouvernement fédéral. Cette formule, qui n'a rien de magique, c'est une sorte de composition du gouvernement à la proportionnelle des forces au parlement. Introduite en 1959, après que le socialiste Max Weber ait claqué, trois ans plus tôt, la porte du Conseil fédéral (il y était le seul représentant du PS), elle a perduré, avec des répartitions diverses (deux PDC et un UDC jusqu'en 2003, deux UDC et un PDC de 2003 à 2007), jusqu'à l'éviction de Christophe Blocher (encore que l'on puisse considérer qu'en élisant Evelyne Widmer-Schlumpf à la place du Pithécanthrope, le parlement avait tout de même élu une UDC, puisqu'elle n'a été exclue du parti qu'ensuite de cette élection...). Or aujourd'hui, cette "formule magique" ne serait même plus arithmétiquement représentative : elle donnerait en effet 60 % des sièges au Conseil fédéral à deux partis ne représentant que 45 % de l'électorat...

Il n'y a pas de droit de quelque parti que ce soit à être présenté au Conseil fédéral, il n'y a que l'utilité politique pour les autres partis à ce qu'il y soit, avec le nombre de représentants qu'on estime être utile. Le fait que l'UDC soit le premier parti du pays ne lui donne pas un "droit" à deux sièges, ni même à un seul : le PS a été hors du Conseil fédéral pendant des décennies alors que sa représentation parlementaire lui eût donné "droit" à être au gouvernement si celui-ci était formé à la proportionnelle comme l'UDC revendique aujourd'hui qu'il le soit... et quand le PS est entré au Conseil fédéral, en 1943, c'est avec un seul Conseiller fédéral alors qu'il était le premier parti du pays. Le PS n'est devenu "gouvernemental" qu'en acceptant à la fois la Paix du Travail et la Défense nationale, et parce que les autres partis estimaient que vu le contexte européen, c'est-à-dire de la défaite désormais annoncée du IIIe Reich (on est juste après Stalingrad) et de la victoire de l'Union Soviétique, un petit peu de rose social-démocrate au gouvernement pourrait amadouer les futurs vainqueurs "rouges" et leurs alliés occidentaux.

A la "formule magique" arithmétique s'oppose une "formule politique" fondée sur le principe, tout aussi suisse, de "concordance" : le Conseil fédéral n'est plus composé en fonction des forces parlementaires, mais en fonction des accords possibles entre partis. C'est cette formule qui, sans que cela soit proclamé ouvertement, s'est imposée après la déblochérisation, quoique l'unique représentant de l'UDC, Ueli Maurer, prenne un malin plaisir à se distancer de ces collègues sur les thèmes "identitaires" de son parti (l'Europe, l'immigration, l'armée...). A la "formule magique" et à la "formule politique" s'oppose enfin la formule de l'alternance, avec une majorité (gouvernementale et parlementaire) et une opposition, celle-ci se préparant à pouvoir devenir une majorité. Une formule claire, qui cependant paraît mal convenir à la Suisse -non pour des raisons institutionnelles, mais pour une raison tenant au rapport des forces politiques : au sein d'un parlement fédéral où la gauche détiendra un tiers des sièges et la droite au sens large les deux tiers (dont près de la moitié pour l'extrême-droite), il faudrait un véritable tsunami politique pour qu'une alternance soit concevable.

La "formule magique" est morte. La "formule politique" n'est pas encore assumée. Dans cet entre-deux formules, on va naviguer à vue, et sans doute s'acheminer, puisque le résultat de l'élection du parlement fédéral le permet, que le PBD ne s'est pas effondré pas et que le PDC n'a pas reculé, vers la reconduction du compromis actuel entre la "formule magique" et la "formule politique" : l'UDC reste au Conseil fédéral, mais avec un seul siège, et les quatre autres partis représentés construisent ensemble une concordance centriste, reposant sur des alliances variables passées pour des projets spécifiques, afin d'obtenir une majorité parlementaire, voire une majorité populaire en cas de référendums.

Le parlement, tel qu'il a été élu, est encore plus à droite que le précédent, encore plus farci de lobbistes divers et variés, mais il va falloir se le taper pendant quatre ans. Et donc, pendant quatre ans, avec ou sans Eveline Widmer-Schlumpf ou un deuxième UDC au Conseil fédéral, il va falloir faire chauffer la marmite à référendums et la poêle à manifs... La gauche représentera entre un gros quart et un petit tiers des Chambres fédérales ? soit. Quelque chose nous dit que des référendums, il va falloir qu'on en lance en rafales, entre deux manifs et deux grèves nationales, pendant quatre ans. On a déjà connu ça. On y a survécu. C'est reparti pour un tour, et comme disait Yvette Jaggi, "c'est pas le moment de mollir".

A propos, vous savez quoi ? Dans trois ans, c'est le centième anniversaire de la Grève Générale...
Ben ouais, quoi, on peut rêver.

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