La gauche socialiste et ses "fondamentaux" : A la recherche du socle perdu...


Où en sommes-nous, à gauche (et plus précisément au parti socialiste) de nos "fondamentaux", de leur respect, de leur révision, de leur oubli ? Qu'est-ce qui distingue la gauche de la droite démocratique (de l'extrême-droite, on espère bien  que la question n'ait même pas à être posée ? En d'autres termes, la gauche, aujourd'hui, c'est quoi ? Et ça veut dire quoi, "être socialiste" ? Faute d'un projet social et économique "alternatif", le PS occupe, et il a parfaitement raison et légitimité de le faire, le terrain sociétal (culturel, éducatif), celui des libertés individuelles, de la recomposition des modèles familiaux, de l'"ouverture", du "vivre ensemble", du "multiculturel" -tous thèmes qui lui assurent un ancrage dans les classes "moyennes" issues de l'université, mais ne lui permettent pas de retrouver dans les classes populaires (ouvrières, employées, chômeuses) l'ancrage perdu (en Suisse, le premier parti "ouvrier", au sens sociologique et politique du qualificatif, c'est l'UDC...), sans lequel ce parti, et la gauche en général, ne relève plus que d'un vague progressisme culturel, sans danger pour les maîtres du jeu social et économique -qui peuvent d'ailleurs même adhérer à ce "progressisme" irénique.

La gauche fait le poing ? Qu'elle le lève...

Le virage "social-libéral" d'une partie de la social-démocratie a laissé en friche le champ politique qu'elle occupait, celui du socialisme réformiste, démocratique et étatiste -et ce sont d'autres forces de gauche, nouvelles, qui y ont pris, ou tenté de prendre, sa place, comme Podemos en Espagne et  Syriza en Grèce, avec pour programme et, quand elles le peuvent, pour action, le programme et l'action qui furent les marques de la social-démocratie : construire un "Etat social" capable d'assurer la concrétisation des droits fondamentaux et l'égalité des droits, la solidarité internationale, les libertés individuelles et collectives. En Grèce, notait Jean-Marie Meilland dans "Gauche Hebdo" (du 27 mars), "Syriza, mouvement de gauche radicale, et c'est tout à son honneur, se charge du travail de toute la gauche", et en particulier de celui de la social-démocratie, courant devenu "souvent amnésique" et dont la gauche "radicale" défend l'héritage. Syriza s'est en effet à ce point chargée "du travail de toute la gauche" qu'elle s'est même chargée de l'héritage du Pasok en acceptant finalement un "diktat européen" contre lequel elle avait mobilisé les Grecs, avec succès -au point de leur faire accepter le virage qu'Alexis Tsipras lui avait fait à elle même accepter. Que lui reste-t-il alors à cette gauche "radicale" pour se différencier de la gauche "modérée" ? En quoi cette gauche issue de la gauche révolutionnaire se distingue-t-elle aujourd'hui de ce que fut la gauche réformiste jusqu'au début des années '80 du siècle dernier ? La rhétorique, sans doute, mais au-delà ? "Moderniser la gauche, ce n'est pas abandonner ce qui en fait l'identité. Il ne faut pas perdre de vue l'essentiel : la gauche doit transformer la société", rappelait la Verte Cécile Duflot, en quittant le gouvernement français, pendant que François Hollande, lui, refusant de changer quoi que ce soit à la ligne fixée à ce gouvernement, appelait à la suivre en allant "plus vite et plus loin" encore -mais aller plus vite où ? Et à quel prix politique ?

"La gauche ne peut pas mourir", écrit Jean-Claude Rennwald en conclusion des textes qu'il réunit dans "La gauche fait le poing" (Editions Favre, 2015). La gauche "ne peut pas mourir" parce qu'elle n'a fini son travail. Que "le principal clivage qui traverse notre société, c'est toujours celui qui oppose (....) les travailleurs aux capitalistes". Et qu'il faut donc "repartir à la reconquête des classes populaires". Exigence à l'inverse du satisfecit paradoxal décerné par le socialiste français Malek Boutih : "La gauche se meurt, non pas parce qu'elle a échoué, mais parce qu'elle a réussi", qu'elle a réalisé son programme, du moins si on le réduit au programme social-démocrate (l'Etat social, l'Etat de droit, l'Etat régulateur du capitalisme). Bref, on n'aurait "plus besoin" de la social-démocratie, puisqu'"elle est partout", que "plus aucun pouvoir n'est considéré comme naturel, hormis le pouvoir démocratique", qu'"on devient vraiment démocrate quand on apprend à perdre les élections" (le PS français est donc bien parti pour être un modèle de réussite de cet apprentissage), que "les pays vraiment libéraux, ça n'existe plus" (à quoi on ajoutera que "les pays vraiment socialistes", ça n'existe pas encore. Et que ça n'a même jamais existé, du moins dans la durée et l'espace : la Commune de Paris, la Catalogne ou l'Ukraine libertaires, furent socialistes. Pendant quelques semaines ou quelques mois, avant d'être écrasées). Mais alors, de quoi, de quelle force, de quel mouvement, de quelle culture politiques, a-t-on besoin ? De l'increvable anarchisme, certes, comme toujours, forcément, mais encore ? 

Une réponse, ou en tout cas quelques éléments  d'une telle réponse, vient de nous être donnée en Grande-Bretagne, là d'où précisément nous était venue la funeste arnaque du "social-libéralisme": l'élection triomphale, par la base, de Jeremy Corbyn à la tête du parti travailliste, sur un programme qui plonge non dans celui de la gauche révolutionnaire, mais dans celui d'une "social-démocratie de gauche", opposée à l'austérité et aux privatisations, favorable aux (re)nationalisations, au renforcement des services publics, au développement des politiques sociales et des investissements publics. On ne fera pas d'un tel programme un texte sacré, un décalogue de gauche, mais on observera au moins qu'il rompt aussi radicalement qu'il est possible pour un parti tel que le Labour, qui n'a jamais été à l'aile gauche du mouvement socialiste, avec les enfumages blairistes. Et on observera aussi qu'il a été porté à la tête de ce parti, en la personne de Jeremy Corbyn, grâce à un assez formidable mouvement de la base -et d'une base renouvelée par des adhésions massives (ou des réadhésions d'anciens militants que le blairisme avait fait fuir) d'hommes et de femmes qui ont "fait leurs armes" politiques dans la rue et les mouvements sociaux, dans les manifestations contre l'austérité, l'exploitation  du gaz de schiste ou la guerre en Irak. Ce mouvement, qui a fait plus que doubler le nombre des membres du parti en quatre mois, pour le porter à plus de 600'000, est venu d'en bas : ce n'est pas la prise d'un parti par un groupe organisé à cette fin, comme Mitterrand en constitua un pour prendre le PS, ni la constitution d'un nouveau parti de gauche proclamant être la gauche, le socialisme et le mouvement ouvrier,  à lui tout seul c'est la reprise d'un parti historique de la gauche, par le peuple de gauche que ce parti avait abandonné, mais que ce peuple de gauche a finalement considéré comme le meilleur outil, malgré tout, dont il puisse se doter pour reprendre sa place.

Car n'y a aucune fatalité à ce que dans nos pays la gauche (toutes formations et et toutes cultures politiques confondues) ne pèse plus, comme en Suisse, que 30 % des suffrages, ni qu'elle ait égaré dans les salles des pas perdus des parlements l'hégémonie culturelle qu'elle avait réussi à conquérir, et sur laquelle elle s'est paisiblement endormie, jusqu'au réveil en fanfare sonné par des extrêmes-droites (et des droits accrochées à leurs basques) décidées à lui faire payer à elle, la gauche, la défaite historique, et que l'on avait voulu croire définitive, des pensées tribales et régressives naufragées en 1945.

La gauche fait le poing ? Qu'elle le lève...

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