La Ville de Genève, "zone hors Tisa"



Mercredi, le Conseil Municipal de la Ville a voté une résolution proposée par les partis de gauche (et soutenue... par le MCG et l'UDC...) proclamant Genève "zone hors Tisa", exigeant la transparence sur les négociations de l'accord TISA (Accord sur le commerce des services), s'opposant à toute obligation de privatiser les biens et les services publics et enjoignant le Conseil administratif (qui accepte de le faire : "les services publics ne sont pas des biens comme les autres" et doivent être défendus contre la volonté d'en faire des marchandises, a résumé la Conseillère administrative Sandrine Salerno) d'intervenir auprès du Conseil. fédéral pour l'inciter à ne pas engager la Suisse dans la voie dessinée par TISA. La Ville de Genève rejoint ainsi les communes romandes qui se sont déjà déclarées "hors TISA", comme, à Genève, celles de Carouge, Meinier, Puplinge et Plan-les-Ouates, et dans le canton de Vaud celles de Lausanne et Renens. En face, le PDC a estimé qu'en adoptant cette résolution, le Conseil Municipal "outrepassait les compétences communales", et le PLR a cru y voir une "alliance entre l'UDC et les socialistes pour fermer les frontières"... Mauvaise foi ou myopie ? Les deux, mon colonel...


Les services publics ne sont pas des marchandises

Les grands accords internationaux de "libre-échange" du genre de TISA négocié à Genève (hors du cadre multilatéral de l'OMC, pour pouvoir écarter les pays du sud) par une cinquantaine de pays (les USA le Canada, l'Union Européenne, l'Australie, le Japon, la Suisse...) répondent tous au même objectif et à la même nécessité : les besoins et les moyens des consommateurs des marchés sur lesquels les multinationales sont déjà présentes, et dominantes, étant limités et ces marchés étant saturés, il faut aux multinationales conquérir de nouveaux consommateurs. Ce qui se peut faire de deux manières, cumulatives : en cassant les secteurs publics dans les marchés existants, pour transformer les usagers de ces services en clients d'entreprises privées, et en prenant pied dans des marchés territoriaux où l'on était absent, ou marginal.

Avec Tisa, au nom de l'"égalité de traitement" et de la "libre entreprise", et conformément à l'obligation faite aux Etats signataires de rendre toutes leurs lois, tous leurs règlements et toutes leurs procédures conformes à l'accord, il serait impossible à un Etat, une région, une commune, de déterminer le type de politique publique qu'elle souhaite, et donc impossible à ses habitants de faire, par élection ou référendum, les choix qui leur importent. La portée de TISA est telle que toutes les prestations de service, y compris les prestations publiques de base, et tous les services publics devraient être déréglementés, soumis à la liberté d'accès au marché. Cela concerne, par exemple, la distribution de l'eau, le système de santé, la protection de l'environnement, les services sociaux, la poste, les télécommunications, l'énergie, l'école et les assurances sociales... Les secteurs et les activités qui ne sont pas soumis à cette déréglementation doivent, explicitement, figurer sur une "liste négative", qui ne peut être élargie après l'adhésion à ISA. Tout ce qui n'est pas sur cette liste négative est soumis à la concurrence privée, déréglementé, voire privatisé. En outre, le champ des déréglementations possibles,  tel que défini par l'accord initial, peut être étendu par la suite, mais pas réduit. Et lorsqu'il est étendu, on ne peut plus revenir en arrière sur cette extension. Enfin, des annexes à l'accord peuvent déréglementer des secteurs que les pays signataires de l'accord avaient placés sur une liste d'exceptions à l'accord, et en ce cas ces exceptions tomberaient...

Concrètement, des normes nationales (ou continentales, dans le cas de l'Union Européenne) de qualité de l'alimentation (une interdiction ou un moratoire des OGM, par exemple) et de sa production, des normes spécifiques de santé, des subventions locales, régionales, nationales, continentales à des entreprises ou à des secteurs considérés comme prioritaires, des monopoles publics dans la fourniture de biens, de services ou de prestations indispensables, seraient contradictoires d'un accord du genre de TISA, et les collectivités publiques qui prendraient ce type de décisions seraient passibles d'être traînées devant des tribunaux "arbitraux" privés et très lourdement amendées.

Ainsi des accords comme TISA sont-ils une arme des multinationales et de leurs servants politiques contre les collectivités publiques et leurs engagements sociaux, contre la protection de l'environnement, contre les garanties des droits des travailleurs, contre les services publics, contre les droits démocratiques, contre le droit des consommateurs à ne pas consommer n'importe quoi produit n'importe comment, et contre l'assurance d'un accès de toutes et tous à des biens communs comme l'eau, l'énergie, les soins et l'alimentation...

Si TISA existait en 1850, la Suisse n'aurait pu ni construire un réseau électrique public, ni des lignes publiques de chemins de fer. Si TISA existait en 1950, la Suisse n'aurait pas pu introduire une assurance-chômage publique. Et si la Suisse devait aujourd'hui signer TISA, le centrale de compensation AVS ne pourrait pas sauvegarder ses données sur un serveur localisé en Suisse sans risquer de se voir exiger des compensations par une multinationale genre Google, la Suisse ne pourrait plus durcir sa législation limitant les possibilité d'acquisitions foncières par des étrangers, ne pourrait plus (ni les cantons) limiter les heures d'ouverture des magasins ni interdire pour des raisons environnementale l'installation de centre commerciaux dans des zones de campagne, ni prononcer de moratoire sur les OGM, ni réduire les possibilités de consommation tabagique.

Pour la droite traditionnelle (PDC et PLR) de la Ville de Genève, que la commune s'oppose à Tisa serait hors de son champ de compétence. La Suisse, pourtant, est partie prenant de la négociation de cet accord, et c'est en tant que Ville suisse que Genève s'adresse au gouvernement suisse. Nous ne combattons pas TISA parce que c'est un accord international, nous combattons TISA parce que son contenu est inacceptable.  Nous ne combattons pas TISA pour proclamer la primauté du droit fédéral suisse sur le droit international (nous en tenons d'ailleurs pour la primauté du droit municipal sur tous les autres), nous combattons TISA parce que nous refusons la suprématie de l'économie sur la politique. Et lorsqu'une commune se déclare opposée à TISA, elle n'excède pas ses compétences, elle les défend face à une entreprise de mercantilisation générale, et proprement totalitaire : qu'une commune se prononce contre TISA relève de ses compétences, parce que TISA prétend les lui enlever toutes.

Commentaires

Articles les plus consultés