Populisme, extrême-droite, fascisme... De quoi l'UDC est-elle le nom ?


Bon, alors, l'UDC et ses satellites (et un peu concurrents, quand même) locaux, genre MCG à Genève ou Lega au Tessin, c'est quoi ? Un parti populiste de droite (comme il y a un populisme de gauche) ? de droite conservatrice (comme il y a un conservatisme de gauche) ? de droite nationaliste (comme il y a un nationalisme de gauche) ? de droite de la droite (comme il y a une gauche de la gauche) ? d'extrême-droite (comme il y a une... pardon : comme il y avait une extrême-gauche visible ) ? Le président du PSS, Christian Levrat, a qualifié l'UDC de parti "fascistoïde" attaquant les "valeurs fondamentales de la Suisse", et le président du PBD, Martin Landolt, l'a rangée "toujours plus à l'extrême-droite". Alors, comment qualifier l'UDC, le MCG, la Lega ? D'un parti fasciste on est loin. D'un parti dangereux, en revanche...

Il n'y a pas 30 % de fascistes en Suisse. Mais il y a au moins 30 % de réactionnaires.


"Jusqu'à quel point une politique doit-elle devenir encore plus brune pour que tous puissent sentir qu'elle empeste ?", s'interrogeait Martin Landolt. L'UDC semble avoir mesuré le danger que ses propres campagnes (sur les minarets, les immigrants, les naturalisés...) lui faisaient courir, d'être rejetée pour des raisons tenant plus à la forme de son discours qu'à son contenu : sa campagne électorale pour les dernières élections fédérales a été presque exempte des débordements rhétoriques racistes et ethniquement purificateur auxquels elle s'était livrée précédemment (nul doute, cependant, que le naturel reprendra rapidement le dessus).

L'histoire même de l'UDC la situe : le parti dont elle est l'ultime, et victorieux, avatar, le parti agrarien des "paysans, artisans et bourgeois" (PAB, dans son acronyme français) a été créé par les organisations paysannes et les milices qu'elles avaient mises sur pied pour casser la grève générale de 1918. Du traumatisme que cette grève avait suscité dans toute la droite suisse, la création du PAB avait été la première conséquence politique : un parti nouveau apparaissait, anti-ouvrier et antisocialiste, réactionnaire, chauvin, capable de contribuer avec la droite libérale et la droite catholique à dresser, autour du mouvement ouvrier et autour des villes une sorte de "cordon sanitaire" politique, qui tiendra jusqu'à ce que les organisations hégémoniques du mouvement ouvrier, l'Union Syndicale et le Parti socialiste, acquiescent à la Paix du Travail, à la Défense Nationale et aux institutions de la démocratie "bourgeoise". C'est cet héritage du PAB que l'UDC, qui en est issue, a fait fructifier -en récupérant au passage un électorat "ouvrier" (au sens large) et périurbain ne se reconnaissant plus ni dans les syndicats, ni dans le PS.

Soyons clairs : on n'évoque pas ici, s'agissant de l'UDC,  le "populisme", mais l'extrême-droite, c'est-à-dire une position dans le champ politique. On pourrait tout aussi bien dire "la droite de la droite", puisque ce à quoi cette position fait référence est moins une idéologie (comme le fascisme) qu'une situation : depuis les assemblées révolutionnaires françaises, où les partisans de la révolution siégeaient à la gauche de la présidence, ceux de la contre-révolution à sa droite, et ceux du sens tournant du vent au centre, dans le "marais", la gauche est identifiée au progressisme, la droite à la réaction, le centre au conservatisme. Grosso modo, on en est toujours là (quoique le XXe siècle ait tout de même réussi à inventer des "révolutions réactionnaires" sous la forme des fascismes), et on peut donc, puisque cela ne la qualifie pas idéologiquement mais que cela ne fait que la situer dans le paysage politique, qualifier l'UDC de parti d'extrême-droite. Quant au "populisme", c'est bien autre chose que le fascisme ou ses succédanés. Le terme, d'abord, qualifie le socialisme émergeant en Russie au tournant du XIXe siècle, sous la double forme d'un "retour au peuple" des fils et des filles d'aristocrates et de bourgeois décidés à la fois à alphabétiser politiquement les moujiks et à apprendre d'eux la vraie Russie, la vraie démocratie, le vrai socialiste, et de la lutte armée de ces narodnikis ("populistes", donc) exécutant ministres, aristocrates, et jusqu'au tsar Alexandre II. Rien à voir, donc, avec les udécistes suisses ou les frontistes français : "populiste" et "démagogue" ne sont pas synonymes.

Dès lors, à gauche, on ne peut se contenter de répéter en boucle comme un mantra que "le ventre est encore fécond d'où est issue la bête immonde" pour s'assurer de reconnaître ce ventre, et cette bête. Et de ne pas se tromper de l'un ou de l'autre, et finir par se faire bouffer par une bête qu'on n'avait pas reconnue : il n'est pas besoin de voir en l'UDC les fasci de Mussolini ou le NSDAP de Hitler pour la reconnaître comme notre adversaire privilégiée, ici, dans ce pays, et maintenant, puisqu'elle est le premier parti de ce pays : un parti riche et puissant, foncièrement réactionnaire, foncièrement adversaire du pluralisme politique et culturel (tout en en bénéficiant), dangereux pour les libertés individuelles et les droits fondamentaux (que garantissent des "juges étrangers") tout en usant à la perfection des instruments de la démocratie.

Cela fait-il de l'UDC un parti fasciste ? certes non. Mais il y a tout de même dans l'UDC "quelque chose de fasciste", quelque chose que l'UDC partage avec le fascisme (mais aussi avec le stalinisme, soit dit au passage) : le culte du chef, la recherche de boucs-émissaires, les théories du complot, la dénonciation des trahisons, la xénophobie, la reconstruction mythologique de l'histoire... on y a certes abandonné le bon vieil antijudaïsme traditionnel des droites réactionnaires européennes -mais pour lui substituer une islamophobie disponible au même usage. Et si on ne célèbre plus le culte de la race, on tient ouvertement en suspicion les Suisses par naturalisation.  Et puis, il y a, qui la fait ressembler au fascisme (sans en être) la capacité de l'UDC d'être en campagne permanente, et sa capacité aussi à se poser en adversaire de l'"establishment" et de la "nomenklatura" politiques, médiatique et culturelle, tout en en faisant, ou en désirant en faire, partie. Et là, k'extrême-droite est tout de même face à un gros dilemme : choisir entre son discours "anti-establishment" et sa soif de pouvoir. On se donne l'air de combattre les élites ? on rêve d'en être -et d'ailleurs, on en a besoin précisément pour conquérir le pouvoir. Petit détour français : Côté Le Pen père, c'était clair : le pouvoir, il n'en avait rien à secouer. Il faisait même tout pour ne pas y accéder. Son rôle, son statut, sa mission, c'était, pour dire les choses clairement, de "foutre la merde". Pas de la gérer. Côté Le Pen fille, c'est le contraire : elle fait tout ce qu'elle peut, jusqu'au meurtre politique du père, pour être au moins ministrable, voire présidentiable. Et pour cela, il lui faut, et l'UDC doit relever le même enjeu que le FN, non seulement mettre une sourdine à son discours "anti-élites", mais aussi une muselière à sa base la plus vindicative. Faute de pouvoir lui apprendre à utiliser une autre partie de son cerveau que la reptilienne.

Il n'y a pas 30 % de fascistes en Suisse. Mais il y a au moins 30 % de réactionnaires (en ne comptant que ceux de droite...) cultivant la nostalgie délirante d'une société qui n'a jamais été telle qu'ils la regrettent, mais qu'ils sont tout de même prêts à restaurer, comme s'il était possible de restaurer un fantasme -celui d'une Suisse purgée de tous ses éléments "étrangers" : les personnes venues d'ailleurs, évidemment, mais aussi les idées, les pratiques sociales, les références culturelles et les projets individuels et collectifs de la Suisse réelle. Celle des villes. La nôtre.

Que l'UDC soit non la résurrection du fascisme mais cette illusion vindicative d'un possible retour en arrière,  suffit à justifier qu'on la combatte.

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