Etats d'urgence antiterroristes : No bunker !


Les appels à un renforcement de l'efficacité des services de sécurité, des polices, des armées, des services spéciaux, des services de l'immigration, des garde-frontières, à la fermeture des frontières, à la lutte contre l'immigration, aux restrictions des libertés de déplacement (qu'on se rassure cependant : il ne s'agira jamais que d'entraver la circulation des personnes, pas celle des capitaux) se sont fait assourdissants, depuis les attentats de Paris . Mais à utiliser le seul critère de l'efficacité, sans le soumettre, sans le plier à l'impératif de légitimité, on se condamne à applaudir à l'efficacité de l'opération parisienne du week-end dernier : en deux heures, le groupe auteur de l'opération a tué des dizaines de personnes et traumatisé une bonne part des opinions publiques du monde "développé". Pour se préparer à applaudir à l'efficacité de la traque et du châtiment des coupables, nous faut-il d'abord applaudir à l'efficacité des tueurs pour ensuite nous enfermer dans un bunker ?

Des djhadistes et de nous, ce sont eux qui sont à enfermer, pas nous.

Si, comme nous l'écrivions il y a quelques jours, l'"islamogauchisme" relève de l'"anticapitalisme des imbéciles" quand il sévit à la "gauche de la gauche", la paranoïa, elle, est bien l'"antiterrorisme des imbéciles". Et c'est elle qui, s'ajoutant à la menace terroriste elle-même (que selon un sondage réalisé juste après les attentats, 98 %  des personnes interrogées jugent "élevée", ce qui est bien le moindre des constats que l'on puisse faire), pointe son nez dans les ripostes policières et judiciaires aux attentats de Paris, et dans l'adhésion massive de la population française à ces ripostes (80 % des personnes interrogées acceptent une limitation des libertés en échange d'une meilleure sécurité). A l'Assemblée nationale française, il n'y a eu que six députés (socialistes et verts) pour s'opposer à la prolongation de trois mois de l'état d'urgence...  Dans ces conditions, quel peut être le sort d'un discours critique de cette riposte et du renforcement des dispositifs policiers et judiciaires de surveillance préventive ?  Après les attentats de Paris et les mesures d'état d'urgence prises (d'état d'urgence, pas d'état de guerre...), la Fédération internationale des ligues des Droits de l'Homme (FIDH) a déclaré que "les mesures exceptionnelles adoptées, si elles peuvent répondre à l'urgence du moment, ne doivent être appliquées que pour une période limitée et sans aucune stigmatisation. Nous nous joignons aux appels à l'union citoyenne contre la peur, pour protéger les libertés, la démocratie et notre volonté de vivre ensemble".

Aucun moyen, ni législatif, ni judiciaire, ni militaire, ni policier, ni technique, ne garantit une absolue sécurité -même en écrasant absolument les libertés et les droits individuels, ce que nul ne propose encore explicitement, pas même Marine Le Pen. Adapter les moyens disponibles aux nouvelles menaces (et le terrorisme n'en est pas une) n'est, précisément qu'une adaptation -la question étant de savoir de quel prix il faut la payer. De l'instauration d'une possibilité de déchéance de la nationalité, comme proposé en France ?  Le débat n'est pas que français : En Suisse, un référendum "contre l'Etat fouineur" a été lancé par la Jeunesse socialiste, les Jeunes Verts, le Parti Pirate, le Parti du Travail et le Groupe pour une Suisse sans armée, et il est même soutenu par les jeunes PLR genevois (le PS suisse doit se prononcer le 5 décembre, son Comité directeur ayant recommandé le soutien au référendum), contre un tel renforcement policier, proposé par le Parlement fédéral, sous la forme d'une Loi sur le renseignement, devant donner une base légale à l'activité du service de renseignement de la Confédération (SRC), qui n'en a actuellement aucune.

Pour le comité référendaire, les attentats de Paris prouvent l'inefficacité de la "surveillance de masse" (plus de moyens, plus de surveillance, n'empêche pas d'être la cible d'attaques terroristes : les deux frères Kouachi, auteurs du massacre de "Charlie Hebdo", étaient sous la surveillance des services français... ), mais la coprésidente des Verts, Adèle Thorens, pour qui "plus que jamais, nous avons besoin d'un débat démocratique pour savoir jusqu'où la population est prête à sacrifier une part de ses libertés face à le menace" terroriste, reconnaît que "dans le climat actuel, il sera difficile de faire passer les arguments contre un renforcement des moyens attribués au Service de renseignements" de la Confédération. Le référendum doit obtenir 50'000 signatures valables avant le 16 janvier. A la mi-novembre, il en était à plus de 20'000 signatures. S'il aboutit, il sera au moins, quel que soit le résultat du vote populaire qui le sanctionnera, l'occasion d'un débat public, contradictoire, indispensable, sur la nature de la riposte à organiser contre le terrorisme djihadiste (puisque c'est de lui, et d'aucun autre, qu'il est aujourd'hui question). Un débat dont tout le monde ne semble pas vouloir : ainsi de l'éditorialiste du "Temps" qui, le 18 novembre, somme le PS suisse d'"une bonne fois (dire) dans quel camp il se situe, le choix étant par l'éditorialiste en question limité à François Hollande ou "l'irresponsabilité angélique". Nous serions donc des anges ? Soit : battons des ailes pour dire que le camp dans lequel nous nous situons est défini par trois mots : "liberté, égalité, fraternité". Et pas "fermeture des frontières, camps d'internement et suspicion généralisée". D'abord, parce que ce serait inefficace. Ensuite, parce que cette bunkérisation serait une victoire de l'ennemi même dont on croit par elle pouvoir se préserver, et qui ne rêve que nous voir tous enfermés, si possible après nous être enfermés nous mêmes par peur de lui, ce qui serait admettre que nous sommes en son pouvoir. Nous n'avons pas à l'admettre, d'abord parce que c'est faux, ensuite parce que même si c'était vrai, ce serait insupportable.
Des djhadistes et de nous, ce sont eux qui sont à enfermer, pas nous.

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