"La France est en guerre"... mais quelle guerre, contre qui ?



Drôle de guerre...

La France est en guerre", ont proclamé tous les dirigeants politiques français, de gauche et de droite, au pouvoir ou dans l'opposition. "En guerre" contre qui, ou contre quoi ? L'"Etat islamique" (Daech) ? l'islamisme armé ?  l'islamisme radical, l'islamisme, l'islam ? Et dans cette guerre, que vaut l'alliance avec les pétromonarchies du Golfe qui soutiennent l'islamisme sunnite, mais avec qui la France, "en guerre" contre l'islamisme armé, fait des affaires et à qui elle vend armes et avions ? "Qu'est-ce qu'une guerre ? C'est quand des pauvres qui ne se connaissent pas se massacrent pour des riches qui se connaissent et ne se massacrent pas", écrivaient les socialistes libertaires français en août 1914, à propos des guerres entre Etats... On n'en est plus là. Enfin plus tout à fait. Ce n'est pas qu'on soit foncièrement non-violents, ni obstinément pacifistes (contre la "bête immonde", quelle autre solution que l'écraser ?). mais on aime bien savoir contre qui et quoi une guerre se mène, quand, même si on n'est pas français, on est conviés à la soutenir comme étant aussi la nôtre...

La Résistance, c'est de vivre comme on veut.

La France est donc "en guerre" contre Daech (ou d'autres groupes du même genre) -mais pas depuis la semaine dernière : elle l'est au Mali depuis deux ans, et elle participe aux opérations en Irak et en Syrie, en engageant sur ces théâtres d'opération un pourcentage de ses forces militaires supérieur à celui engagé de leurs forces par les USA. La France est en "guerre", mais en quelle guerre ? Qu'est-ce que cette guerre contre un ennemi qui n'est ni un Etat (quoi que Daech dise de lui), ni, et encore moins, un mouvement de libération, mais quelque chose comnme du banditisme armé à prétexte idéologique (religieux), et dont les acteurs sont parfois citoyens des Etats où ils sévissent ? Une "guerre contre le terrorisme", alors ? Mais comment un Etat pourrait-il être "en guerre" contre une méthode, et qui plus est, une méthode dont les Etats ne répugnent jamais à faire usage lorsqu'il leur semble que leur situation ou leurs intérêts le justifie ? Les attentats parisiens sont bien des "actes de guerre", comme les a justement définis François Hollande, mais est-ce que des "actes de guerre" définissent à eux seuls une guerre ?  La guerre, toute guerre, c'est du terrorisme, et la "guerre contre le terrorisme", au fond, n'est souvent qu'une guerre entre deux terrorismes, chacun se proclamant légitime contre l'autre -comme les promoteurs de la Terreur révolutionnaire la proclamèrent légitime contre la terreur contre-révolutionnaire -on peut chanter la "Marseillaise" : ce chant révolutionnaire est de ce temps-là...
Le terrorisme est sans doute la plus ancienne méthode d'action politique qui soit : il naît quand naît le pouvoir politique séparé de la société, qu'il en soit usé contre ce pouvoir ou par ce pouvoir, contre l'Etat ou par l'Etat.  Son "éradication", surtout dans la forme que lui donnent les djihadistes, relève de l'illusion : on pourra mobiliser toutes les polices, toutes les armées, toutes les forces spéciales officielles ou officieuses dont on dispose ou dont on veut se doter au surplus : on ne rendra jamais impossible un acte terroriste et suicidaire à la fois. Rien n'est plus facile que de "tirer dans le tas" d'une terrasse de bistrot ou d'une salle de concert dès lors qu'on a pu se procurer une kalach' et des chargeurs.
A quoi servent les armées si elles ne peuvent rien contre un kamikaze, ne sont pas capables de protéger la serveuse du bistrot du coin ou le public d'un concert rock  ? A rassurer la population ? à protéger l'espace de l'Etat et ses frontières ? Le terrorisme djihadiste se fout des frontières. Sauf à bunkériser tout un Etat, de ses plus hauts dirigeants à l'ensemble de ses habitants, il n'y a aucune protection matérielle possible contre des actes du genre de ceux qui se sont produits à Paris.  La "riposte" militaire consiste à affirmer qu'"on ne se laisse pas faire" -c'est la moindre des choses, mais "pas faire" par qui ? Par un ennemi qu'on a soi-même produit, qu'on n'éliminera pas sans le recréer si on ne change pas radicalement de politique ? Par un ennemi qui ne connaît pas de frontières, n'a pas d'Etat ni n'est un Etat, qui est au coeur de la cible qu'il vise en même temps qu'il s'en tient le plus éloigné possible. "Ce que vous faites en Syrie, vous allez le payer maintenant" clamaient comme un prétexte les massacreurs du Bataclan, à des hommes et des femmes qui n'avaient rien fait en Syrie mais que les décérébrés qui les tuaient faisaient la personnification de la France elle-même.

Le XXème siècle avait commencé à Sarajevo, en juillet 1914, le XXIème siècle le 11 septembre 2001 à New-York et à Washington. Bienvenue dans le XXIème siècle. Un monde nouveau : il y a le Bien et nous en sommes. Il y a le Mal, et ce sont les autres. Nous ne sommes en rien responsables du Mal. Il nous est étranger. Nous n'avons jamais rien fait pour le produire, le provoquer, l'entretenir. Nous ne l'avons même jamais toléré. Nous sommes dans le camp du Bien. Et si le Mal naît, ce n'est pas notre faute. Nous ne sommes ni responsables, ni complices, ni coupables. Tout juste spectateurs. Et cibles et victimes potentielles.
A ceux qui décidément restent, comme nous, étrangers aux appels à la mobilisation générale contre les forces du Mal, il reste à soutenir, partout où elles existent -et elles existent partout- les forces luttant, par des moyens compatibles avec le sens de leur lutte, pour le respect des droits individuels et collectifs, idéaux et matériels, de la personne humaine, pour la démocratie, la justice sociale, l'égalité des droits. Et pour tout ce que détestent les djihadistes, et qu'ils ont visé vendredi dernier à Paris. François Hollande, en chef d'Etat et en chef de guerre, parle (plutôt bien, d'ailleurs) au nom de l'Etat. Pas au nom de la société. Or c'est autant, sinon plus, la société que l'Etat, et chacun, et chacune, des sociétaires, qui est attaquée. Qui va parler au nom de la société attaquée ? L'Etat ? Non : les gens...
       
La Résistance, c'est de vivre comme on veut. De dire, d'écrire, de manifester, de boire, de manger ce qu'on veut, d'aimer qui on veut, comme on veut. Ce n'est pas la guerre, cela. Cela, c'est la vie, comme on veut qu'elle soit.

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