Le Conseil des Etats, bastion de la résistance à la droite : Kilukru ?


 
On ne va certes pas hurler d'euphorie, mais ça fait du bien par où ça passe (et les sanglots longs de la droite ajoutent encore à notre plaisir coupable) : la très nette réélection du "ticket" de gauche à Genève et du président du PSS à Fribourg, la première place de la socialiste dans le canton de Vaud (mais, hélas, suivie non pas de son colistier Vert, apparemment lâché par une partie de l'électorat socialiste, mais d'un candidat PLR que l'UDC ne concurrençait pas), les bouillons udécistes (et èmecégiste) dans les trois cantons romands, ont fait de ce deuxième tour de l'élection du Conseil des Etats une sorte de correction des résultats d'il y a trois semaines, pour le Conseil national -une correction bienvenue, d'autant qu'hier, on était, dans notre calendrier à nous, le 18 Brumaire, et que ce n'était pas le jour idéal pour des succès de la gauche. Le Conseil des Etats, naguère honni de la gauche, devenu bastion de la résistance à la droite : Kilukru ?


"Tous les moyens, même légaux"

En Romandie, ce deuxième tour de l'élection du Conseil des Etats a de quoi redonner à la gauche un léger sourire, nimbé toutefois de la tristesse d'avoir perdu le siège vaudois qu'occupait le valeureux Vert Luc Recordon, distancé par un candidat PLR que ne concurrençait aucune candidature UDC. A Fribourg, le président du PSS a écrasé le candidat de l'UDC, et à Genève, les deux candidats de gauche ont été réélus, évitant ainsi à la République d'être représentée par une élue de gauche et un élu de droite dont les votes se seraient annulés. La socialiste Liliane Maury Pasquier obtient 47 % des suffrages, à un souffle de la majorité absolue et dix points au-dessus du score de la gauche le 18 octobre, et le Vert Robert Cramer 44,7 % des suffrages, soit 7 points de plus que son camp (le nôtre) il y a trois semaines. Derrière eux, le PLR Benoît Genecand, avec 39,8 % des suffrages, améliore certes de trois points le score cumulé du PDC et du PLR en octobre, mais, si l'on tient compte du ralliement du PBD et du (maigre) électorat vert libéral (même sans mot d'ordre du parti)  à sa candidature, il ne mobilise pas au-delà de son camp. Ferment la marche l'UDC Yves Nidegger, qui avec 30 % des suffrages fait plutôt un bon score (surtout si on tient compte de son désintérêt explicite pour le résultat de l'élection, sauf à réussir à plomber la droite traditionnelle), alors que le MCG Eric Stauffer, avec un médiocre 17,6 % des suffrages, peine à faire autre chose que de la figuration bruyante et vindicative (à l'égard du PDC, notamment).

A la "Tribune de Genève"qui lui demandait, innocemment, vendredi, s'il n'était pas (avec Stauffer) le "meilleur allié de la gauche" dans l'élection de la députation genevoise au Conseil des Etats, l'udéciste Yves Nidegger répondait "ne me reprochez pas d'exister". Non, on ne va pas le lui reprocher. En l’occurrence, on serait même prêts à l'en féliciter : la présence de deux listes de droite a évidemment facilité l'élection des deux candidats de la liste de gauche. Facilité, pas forcément permis. Certes, comme le dit Nidegger, l'UDC "représente la droite aussi bien que le PLR", mais, outre que ce sont pas pas les mêmes droites, programmatiquement et culturellement, elles n'ont pas à Genève les mêmes chances de gagner une élection au scrutin majoritaire -il eût fallu pour qu'elles aient une chance de faire jeu égal avec la gauche que toutes les droites, du PDC (qui l'a fait) au MCG (qui ne l'a pas fait) en passant par l'UDC (qui ne l'a pas fait non plus) se coalisent derrière le candidat du PLR, en le laissant lui seul les représenter toutes. Mais comment faire voter des udécistes ou des èmecégistes pour un candidat partisan du libre échange et des bilatérales ? Dans le canton de Vaud, c'est pourtant bien ainsi que le candidat PLR a pris le siège du Conseiller aux Etats Vert Luc Recordon...

Le MCG et l'UDC genevoise ne se faisaient aucune illusion sur leurs chances de faire élire l'un ou l'autre de leurs deux candidats communs dans cette élection : il s'agissait pour eux de "marquer le coup" et, en empêchant très concrètement la droite (élargie, distendue, dilatée) de ravir un siège à la gauche, de lui prouver qu'elle n'y arrivera jamais sans faire alliance avec sa propre aile droite de droite. Preuve faite ? A Genève, les candidats de gauche ratissent large et font un résultat qui dépasse celui de leur camp, alors que le candidat de l'Entente n'arrive guère qu'à mobiliser l'électorat du sien... et que les duettistes de la Nouvelle Farce n'obtiennent que le résultat nécessaire à l'un des deux (l'udéciste Yves Nidegger) pour n'être pas aussi ridicule que l'autre (le èmecégiste Eric Stauffer).

La composition finale du Conseil des Etats ne sera connue que lorsque tous les deuxièmes tours auront livré leur verdict, mais on sait déjà que le PLR et l'UDC n'y disposeront pas, ensemble, de la majorité absolue qu'ïls ont réussi à obtenir au Conseil National. Pour autant, le Sénat n'est pas devenu une base rouge -il s'en faut de beaucoup, et s'il va vraisemblablement jouer un rôle de frein à toutes les marches arrière que méditent PLR et UDC, ce n'est pas sur lui qu'il va falloir compter pour que les enjeux de politique sociale, environnementale, énergétique, soient relevés comme ils le devraient. Sur qui, et quoi compter alors ? Sur la société elle-même, sur les instruments de la démocratie directe, sur les contre-pouvoirs institutionnels (quelques cantons, les villes) qui peuvent être un appui, non seulement aux résistances, mais aussi aux initiatives politique de la gauche (de ses partis, des syndicats, des mouvements sociaux).
Le deuxième tour de l'élection sénatoriale en Romandie ne change pas fondamentalement le rapport des forces parlementaires fédérales : il atténue la progression de la droite, mais pas la nécessité, pour la gauche, et pour les quatre ans à venir, d'user "de tous les moyens, même légaux" pour défendre les projets et les principes auxquels elle tient. Et qu'elle ne sera capable d e relever qu'à deux conditions : son unité, d'abord -et on parle bien ici d'unité, pas d'unicité, sa capacité à agir hors du parlement, à s'appuyer au besoin sur la société, contre les institutions. Bref, à quitter les buvettes parlementaires pour (re)descendre dans la rue.
A être populiste, en somme, et à sa manière : après tout, le populisme a été de gauche bien avant que d'être de droite...

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