"COP 21" : "sauver la planète" ou nous sauver nous-mêmes ?


   
De notre instinct de survie

Combien sont-ils, ces chefs d'Etat et de gouvernement réunis à Paris pour la 21e Conférence mondiale sur le climat ("COP 21" dans son acronyme anglais), au chevet du climat terrien ? 195 Etats, plus l'Union Européenne, sont parties à la Convention-cadre des Nations-Unies sur les changements climatiques, et plus  de 180 d'entre eux se sont déjà engagés à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre dès 2020. L'enjeu est crucial : s'il ne s'agit pas de "sauver la planète" comme il est parfois fort bêtement proclamé (elle survivra à nos conneries et à tout le reste, la planète, jusqu'à ce qu'elle se fasse bouffer par son étoile), il s'agit tout de même de sauver les conditions d'existence d'une grande partie des espèces vivantes qui la peuplent. Dont la nôtre, d'espèce. La "COP 21" tient ainsi de l'instinct de survie de l'humanité elle-même. Le réchauffement climatique menace déjà directement l'existence de millions de personnes -toutes celles, d'abord, qui vivent sur les côtes ou des îles faiblement haussée au-dessus du niveau de la mer. Il va pousser à des affrontements pour l'eau et pour les ressources naturelles, végétales et minières. Il a déjà commencé à pousser des millions de personnes à fuir leur lieu d'habitat. Et dans la mesure même où il est provoqué par l'activité humaine, seul un changement radical des modalités de cette activité peut le freiner, puis le stopper. Il est là, l'enjeu. Et il est encore plus vital que celui de juguler les délires djihadistes.


Le changement climatique, "un défi mondial à relever", aussi localement. Et là, c'est pas gagné.

Après douze jours de travaux, en 2009, la Conférence de Copenhague sur le climat, qualifiée par "Le Temps" de "non-événement le plus médiatisé de l'année", avait péniblement accouché d'un avorton : une déclaration d'intention de limiter le réchauffement climatique mondial à 2° C par rapport à l'ère préindustrielle (le XIXe siècle), et de consacrer 100 milliards de dollars par an dès 2020 pour aider les pays en développement à atteindre cet objectif. Mais aucun calendrier d'action n'avait été adopté pour la réduction de l'impact des activités humaines sur le climat, ce qui satisfaisait, outre les industriels du pétrole et du charbon  deux des grands acteurs de la conférence : la Chine et les USA. La Chine ne voulait pas d'un accord contraignant, les USA ne voulaient pas d'un accord consistant.

Qu'en sera-t-il de l'accord de Paris (en partant de l'hypothèse, optimiste mais réaliste, que "COP 21" aboutira à un accord, mais en sachant que cet accord ne prendra effet qu'en 2020) ? La situation est déjà plus qu'alarmante : les Etats se sont bien engagés en 2009 à limiter la hausse globale des températures à 2° C d'ici 2050, mais elle a déjà atteint près d'un degré, et sans aucune politique de réduction, devrait atteindre près de 5° C en 2100. La conséquence en serait la disparition de l'environnement de survie d'un tiers des espèces vivantes. Pour échapper à cette perspective peu réjouissante, la "communauté internationale" (celle des Etats, donc, et donc des économies polluantes...) veut instaurer dans les 85 ans une économie mondiale n'émettant pas plus de carbone que l'écosystème ne peut en absorber sans hausse des températures. Cela paraît long, 85 ans ? C'est trois générations ? ça nous renvoie à nos arrière-petits enfants (à supposer que nous ayons procréé) ? En fait, c'est très court, tant est pesante la force d'inertie des économies industrielles et post-industrielles, capitalistes ou non (les économies collectivistes d'Etat ne brillaient pas par leur souci environnemental) : les subventions publiques aux énergies fossiles atteignent 500 milliards de dollars :  c'est quatre fois plus que celles aux énergies renouvelables, et quatre fois plus, aussi,que les engagements pris à Copenhague pour aider les pays en développement à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre.

Le réchauffement climatique est une crise environnementale. Mais il est aussi une crise sociale : ses victimes sont les habitants les plus pauvres de la planète. Et ses coupables ses habitants les plus riches : en moyenne, et en tenant compte que de la combustion d'énergie, chaque habitant de la Suisse émet cinquante fois plus de CO2 que chaque habitant de l'Ethiopie, chaque habitant des Etats-Unis trois fois plus que chaque habitant de la Suisse (ou de la Chine), et chaque habitant d'Arabie Saoudite encore plus que chaque habitant des USA...  Aujourd'hui, plus de 400 millions de personnes vivent à moins d'un mètre au-dessus du niveau de la mer (et la moitié des 20 plus grandes villes du monde sont portuaires). Or si le réchauffement climatique se poursuit au rythme actuel, le niveau des mers et des océans se sera haussé précisément d'un mètre avant la fin du siècle. Les premières victimes de cette montée des eaux seront, évidemment, les populations côtières les plus pauvres... qui sont aussi les moins responsables de ce qui va les accabler -les responsables, eux, ont les moyens de
s'y soustraire.

Le changement climatique est "un défi mondial à relever", a plaidé le président français. Un défi mondial à relever aussi localement. Et là, c'est pas gagné : En pleine "mobilisation mondiale" autour du réchauffement climatique, que nous sortent les "maquereaux des cimes blanches" que dénonçait déjà en son temps Maurice Chappaz ? un service d'hélicoptère pour amener les touristes de Vevey, d'Aigle ou de Leysin sur les pistes des Alpes vaudoises. Ou même les amener de Vevey ou Aigle à Leysin. Alors qu'un train assure ce parcours. Bilan écologique, énergétique, carbonique de cette navrance ? une calamité. Bilan symbolique, alors que la Suisse se pose à Paris en exemple de responsabilité et de volontarisme écologique ? Plus calamiteux encore. Mais heureusement pour notre "bonne image de bons élèves", nul sans doute, à Paris, ne nous le renverra à la figure. On pourra donc continuer à nous parer des plumes écolos du paon équitable, en laissant notre "industrie du tourisme" et ses imaginatifs entrepreneurs faire exactement le contraire de ce que nos deux conseillères fédérales expédiées à Paris vont prôner.
Y'en a point comme nous..

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