Débat budgétaire en Ville de Genève : la droite coagulée innove

   
On touche le fond...

On se résignerait facilement à passer deux jours et une nuit et demie à éplucher un projet de budget municipal, comme il nous est déjà arrivé de le faire, si c'était pour qu'au bout du compte la Ville ait un budget équilibré (et même en l'occurrence bénéficiaire) qui maintienne à la fois ses prestations à la population et les droits des quelques milliers de ses employés. Or la droite  dilatée, qui avait en Ville de Genève entamé l'exercice budgétaire par refuser de s'y livrer, ne s'y est finalement résolue qu'en proposant des coupes n'importe où, sur n'importe quelle ligne, n'importe quelle subvention, n'importe quelle allocation. Pour donner un signe de son existence.
Il y a, dans une démocratie, deux moyens de prendre la place d'un exécutif : gagner les élections, ou réussir un putsch. La révolution est exorbitante de ce choix : elle bouleverse le cadre même de la société, et de toutes ses institutions. La droite municipale genevoise a évidemment usé du premier moyen, mais depuis vingt ans, elle se casse les dents sur une élection au scrutin majoritaire que la gauche emporte régulièrement haut la main. Quant au putsch, la droite municipale n'en a pas la force (ce qui explique qu'elle soit régulière tentée de faire appel au canton pour museler la commune...). Elle s'est donc mise à la recherche d'un nouveau moyen, et l'a trouvé : la prise d'otage de la politique sociale et culturelle. Une  prise d'otage budgétaire comme consolation de l'impuissance politique : on touche le fond, là...


Si elle imaginait sa propre existence, la connerie ne serait plus elle-même (Georges Picard)

Ce n'est pas que la droite coagulée ait une politique culturelle et sociale alternative à celle que mène la Ville de Genève, c'est seulement qu'elle n'aime pas celui et celle qui la mènent. Mais qu'on ne peut pas virer, parce qu'ils ont été élus. Et même très bien élus. On va donc s'en prendre aux orchestres, aux théâtres, aux bibliothèques, aux musées, aux centre d'art, aux associations. A tout le tissu culturel, en fait. Et jusqu'aux camps de vacances pour enfants et adolescents assurés par les organisations de jeunesse, y compris celles liées aux églises...
Cherchant qui pouvait bien être l'expert, le mentor, le gourou de la droite municipale genevoise, nous avons d'abord pensé à Bernard Madoff -l'état des finances cantonales semblant accréditer cette hypothèse; mais comme Madoff est en prison, il nous a fallu l'abandonner, pour nous tourner vers l'hypothèse Sepp Blatter, que semblait crédibiliser à la fois l'absence de remise en cause par la droite coagulée de ce que la Ville offre aux Conseillers municipaux eux-mêmes, et aussi le privilège accordé au sport sur la culture, de ne pas être victime des coupes proposées par la droite distendue. Mais il semble que Sepp Blatter ait en ce moment autre chose à faire que prodiguer ses conseils à qui que ce soit.
C'est alors que nous est venue l'illumination : l'expert, le mentor, le gourou de la droite dilatée, ce n'est ni Bernard Madoff, ni Sepp Blatter, c'est le Père Ubu :  tout, dans ses propositions, confirme cette hypothèse-là : la droite municipale genevoise, dilatée, distendue, agglutinée, coagulée, est en fait l'antenne genevoise du Collège de Pataphysique.
Qu'on en juge :
- Couper, sans aucune concertation, au pif, en vrac, dans les fonds de soutien à la création et la représentation culturelles et dans toutes les subventions, y compris celles à des d'entités avec lesquelles la Ville a passé des conventions qui l'engagent, et dont le canton, ou d'autres communes, ou la Confédération sont souvent également partie prenante, cela déjà vous met en bouche -zonka se débrouiller, les associations et les lieux culturels, et yaka les renégocier, ces conventions, merdre ! entend-on beugler le Père Ubu, arquebouté sur sa pompe à phynances...  Ben voyons... 
- Mais le plus beau, le plus goûteux, le plus pataphysique, se cache dans les fameuses "lignes 31" du budget, qui couvrent tout ce dont les services ont besoin pour faire leur travail, assurer leurs prestations à la population. Ce dont ils ne sauraient se passer pour fonctionner, des meubles à l'électricité, au chauffage ou à l'eau. Petits exemples :
- la ligne 312 (eau énergie, combustibles) pour le Jardin Botanique pèse 455'509 francs. On va faire quoi pour économiser 10'000 balles ? réduire l'alimentation en eau ? Dans un jardin botanique ? Le projet, là, c'est quoi, Père Ubu? devenir le plus grand jardin paléobotanique d'Europe, avec la plus grande collection de plantes fossilisées et de roses du désert ?
- La ligne 311, qui concerne notamment le mobilier, pèse 12'792 au musée de l'Ariana. Une paille : yaka poser les porcelaines par terre, après tout les visiteurs n'ont qu'à se baisser...
- La même ligne pèse 120'000 francs aux Bibliothèques Municipales et 91'500 francs à la Bibliothèque de Genève. Elle finance l'achat de livres. Des livres, dans une bibliothèque ?  réflexe obsolète : on coupe déjà dans les aides à la librairie, les subventions au livre et aux éditeurs, et on sait bien que lire, c'est mauvais pour l'ordre politique et moral...
Aux propositions de coupes linéaires dans les lignes de fournitures s'ajoutent les propositions de coupes linéaires dans les subventions, déclinées de façon tout aussi pataphysiques, comme quand on maintient la subvention du Grand Théâtre en coupant dans celle de l'orchestre qui joue au Grand Théâtre -à quand la Tetralogie jouée par le quatuor Sine Nomine, Boris Godounov par Alain Morisod et Don Giovanni à la Pompe à cantique solo ?

Remercions donc le Père Ubu d'avoir conseillé la droite agglomérée genevoise : si les lignes budgétaires de soutien au théâtre n'étaient pas réduites, et triplement (par la réduction des subventions, par celle des "fonds généraux" et par les subventions cantonales), il aurait convenu de suggérer le financement, en hommage aux propositions de la droite, une intégrale de l'oeuvre d'Alfred Jarry qui célèbre comme elle mérite cette "connerie (qui) ne se sait pas (...). Mieux : la connerie ne se pense même pas sous forme d'hypothèse. En cela, aussi aveugle que le tain du miroir. Si elle imaginait sa propre existence, la connerie ne serait plus elle-même (Georges Picard)

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