Elections régionales françaises : Au bal des perdants




Si le premier tour des élections régionales françaises avait vu une victoire incontestable du Front National, le deuxième tour, dimanche dernier, a vu, lui, une victoire non moins incontestable, avec ou sans "front républicain" à l'appui, du "tout sauf le FN"  : des treize nouvelles régions dont les conseils et les exécutifs étaient renouvelés, le FN n'a conquis aucune, pas même celles où ses têtes de listes, Tati Marine dans le Nord et Nièce Marion dans le sud, avaient réussi à capter plus de 40 % des suffrages au premier tour. Et finalement, sur treize régions, la droite démocratique en a récupéré sept alors qu'elle en espérait dix, et le PS en a gardé cinq (la Corse passe aux nationalistes...) alors qu'il craignait devoir se contenter (en Europe...) de deux, voire la seule Bretagne. Avec un taux de participation de 58 %, en hausse de huit points entre les deux tours, le résultat est difficilement contestable. Pour autant, il n'est une victoire pour personne, pas même (ou surtout pas) pour ceux qui clament être vainqueurs, et ne tranche aucun des choix stratégiques et programmatiques en jeu dans les trois camps en présence.

« Cette campagne a changé à jamais ma façon de faire de la politique »

"L'histoire retiendra que c'est ici que nous avons stoppé la progression du Front National", a affirmé le candidat de la droite démocratique dans le Nord, l'ancien ministre du Travail de Nicolas Sarkozy, Xavier Bertrand, large vainqueur grâce aux voix de gauche (après le retrait de la liste socialiste) de Marine Le Pen. On ne sait en réalité ce que l'"histoire" retiendra de ces élections, sinon un approfondissement de la confusion politique régnant, pas seulement en France, mais en France depuis plus de dix ans -depuis que Jean-Marie Le Pen s'est hissé au second tour d'une élection présidentielle, remportée triomphalement par Jacques Chirac grâce à une mobilisation massive de l'électorat de gauche en sa faveur. Et dimanche dernier, on a retrouvé, malgré le refus du chef du principal parti de droite de toute espèce de "front républicain", une gauche qui vote pour la droite afin d'éviter la victoire d'une extrême-droite pour laquelle votent désormais ceux, à commencer par les ouvriers, que la gauche avait "mission historique" de défendre.

Le Front National a bien pu gagner le premier tour en se posant comme "premier parti de France", il l'est en nombre d'électeurs mais pas en nombre d'élus, et pas en terme de présence dans les institutions de la République (il est totalement marginal au parlement, ne contrôle qu'une dizaine de mairies urbaines, aucun département et aucune région) : les modes de scrutin aux élections qui comptent -les Municipales, les Législatives, la Présidentielle- le confrontent à un "plafond de verre" qui lui permet certes de prendre la posture avantageuse du "seul contre tous", mais pas de gagner dans les seconds tours d'élections au scrutin majoritaire, quand se coalisent contre lui la gauche et la droite démocratique, alors que toute la construction politique de la Ve République est fondée sur l'affrontement de ces deux camps, et l'exclusion de tout le reste -dont, aujourd'hui, le Front National.

Côté droite démocratique, précisément, la situation ne porte pas non plus à un optimisme excessif : le score (27 % des suffrages) de la coalition des "Républicains", des centristes du Modem, de l'UDI et des "divers droite" a de quoi la décevoir, et l'inquiéter dans la perspective -la seule qui l'intéresse, et qui obsède Sarkozy), des présidentielles de 2018 : non seulement elle fait moins bien que le FN, mais elle n'arrive pas à distancer réellement le PS, et reste derrière le total des voix de gauche, alors même que la gauche est à un de ses niveaux électoraux historiquement les plus bas. Dans deux des sept régions reprises à la gauche, le parti de Sarkozy n'a pu l'emporter sur celui des Le Pen que parce que la gauche avait retiré ses listes et appelé à voter pour la liste de droite, fût-ce, en Provence-Alpes-Côte d'Azur, en se bouchant le nez. Et dans l'Est, même si un socialiste avait refusé de retirer sa liste et obtient 16 % des suffrages, c'est aussi à un vote "républicain" d'une grande partie de l'électorat de gauche que la droite démocratique doit de ne pas s'être inclinée devant l'extrême-droite. Or Sarkozy avait refusé le "pacte républicain" à laquelle le PS appelait -d'une certaine manière, la victoire de son parti dans le sud, le nord et l'est est donc une défaite de sa ligne politique "à droite toute", consistant à tenter, sans aucun succès jusqu'à présent, de couper la luzerne sous les sabots lepénistes en tenant, sur le fond, un discours concurrent, mais pas contradictoire, de celui du FN.

Quant à la gauche, elle n'a pas grand chose à célébrer : toutes tendances, toutes organisations, toutes listes additionnées, la gauche française est à marée basse. Le "front républicain" auquel elle s'est résolue, sous l'impulsion du PS, a certes été efficace pour bloquer le FN, mais elle ne peut sur cet expédient fonder ni un projet, ni un programme, ni une stratégie. Or la marée basse de la gauche laisse précisément à découvert ces trois manques -et laisse en outre le PS sans alliés capables de suppléer à ses propres lacunes, et de le pousser à sortir de l'ornière "sociale-libérale" dans laquelle il s'est enfoncé : la "gauche de la gauche" est à la fois laminée, éclatée et illisible, et les Verts sont repliés sur un pré carré devenu un jardinet. Bio, certes, mais étriqué.

"Cette campagne a changé à jamais ma façon de faire de la politique", a reconnu le "tombeur" (malgré Sarkozy) de Marine Le Pen, Xavier Bertrand (encore lui), qui a renoncé à tous ses mandats (de député et de maire de Saint-Quentin) pour ne garder que le seul qu'il vient de conquérir de haute lutte, et qui a également annoncé qu'il renonçait à se porter candidat aux "primaires" des "Républicains" de Sarkozy (désignation du candidat à la présidentielle, où s'annonce une "triangulaire" à hauts risques démocratiques entre Marine Le Pen, François Hollande et, sans doute, Nicolas Sarkozy ou peut-être Alain Juppé). Plût aux cieux politiques que Xavier Betrand ne soit pas le seul à tirer cette conclusion de la campagne des Régionales, toute entière dominée par le Front National, et qu'à gauche aussi (à gauche d'abord...)  des hommes et des femmes politiques aient été mêmement changés.

Car il y a bien le feu au lac : qu'un parti comme le Front National ait pu gagner ne serait-ce que le premier tour d'élections comme les Régionales, avec le programme qu'il avait, et dont aucun des thèmes de campagne principaux qu'il avançait (les frontières et l'immigration, la mondialisation, la souveraineté nationale, l'islam, le terrorisme) ne correspondait à une compétence des régions, est un soi un constat : celui d'un analphabétisme politique de plus en plus massif, et donc de la faillite de tous les autres partis et mouvements politiques face à l'un de leur rôles fondamentaux, sinon leur rôle fondamental, dans une démocratie -faire des électrices et des électeurs des citoyennes et des citoyens, ne se contentant pas d'être appelés de temps en temps aux urnes et s'y rendant comme à un exutoire, mais s'organisant autour d'un projet politique, partageant une culture politique commune, distincte et compréhensible.





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