Premier tour des élections régionales françaises : Sans surprise, et sans excuse...


Comme prévu par les sondages, le premier tour des Régionales françaises voit le Front National devancer la droite démocratique et le PS. Ce n'était sans doute que le premier tour d'une élection qui se joue en  deux tours, et si le Front National devance la gauche et la droite démocratique dans presque la moitié des régions, il n'est lui-même majoritaire dans aucune, et ne devrait l'emporter au deuxième tour qu'en l'absence de "front républicain", mais tout de même : la gauche française à l'étiage de la gauche suisse, et le FN à celui de l'UDC, il y a de quoi s'inquiéter. Sans d'ailleurs être en mesure de donner des leçons à une gauche française qui ne fait pas pire que nous. Et on ne consolera même pas en se disant que si le FN fait 28 % des suffrages, cela signifie qu'il y a tout de même 72 % des électrices et des électeurs qui ne votent pas FN (dont une majorité d'électeurs de gauche, si on additionne les listes sur lesquelles se sont portées leurs voix, plus nombreux au plan national -mais aussi plus divisés...- que leurs adversaires frontistes) : ce n'est pas une consolation (ou alors fort maigre) d'abord parce que la moitié de l'électorat n'a pas voté; ensuite parce que dans le vote "non-FN", il reste une part de votes d'extrême-droite à ajouter à ceux récoltés par le FN : les votes pour des listes d'extrêmes-droite dissidentes, ou pour des listes de la droite dite "démocratique" qui ne diffèrent, dans leur discours politique, du FN que par leur adhésion au libéralisme économique -pour tout le reste, de la xénophobie au conservatisme social en passant par le culte de la frontière, pas grand chose ne les sépare du FN... Il faut un microscope pour déceler la différence entre un Estrosi et une Maréchal-Le Pen qui vont s'affronter en Provence-Alpes-Côte d'Azur.

Le genre de question qu'on ne se pose pas, et qu'on devrait se poser...

Ainsi, il se confirme que la France est, du moins électoralement, entrée dans un "tripartisme" qui la voit partagée en trois blocs de forces comparables : la gauche, autour du PS, la droite démocratique, autour des "Républicains", et l'extrême-droite, avec un FN qui l'incarne presque à lui tout seul, et dont le discours reste structuré, dans tous les domaines, autour de la question migratoire -comme, en Suisse, le discours de l'UDC. Ce n'est pas que le FN (ou l'UDC...) ne parle que de cela (il n'a même pas eu besoin de beaucoup en parler ces dernières semaines, les autres, et les media, en parlant pour lui), c'est que tous les autres champs politiques sont, par lui et pour son électorat, déterminés par celui-là.

Ce n'est pas la première fois dans son histoire que la France voit son paysage politique "tripartitionné" (la Troisième République l'a souvent expérimenté...), la victoire du Front National dans six des 13 régions française, et sa progression partout, ne sonne pas l'heure du retour de Pétain, Doriot, Déat et Darnant, et la gauche, qui avait triomphé aux dernières régionales en ne laissant à la droite que la seule région d'Alsace, ne pouvait guère que reculer. Mais la progression du FN sonne tout de même le tocsin, et il faudrait être sourd pour ne pas l'entendre. Et plus sourd de l'être volontairement : si l'extrême-droite arrivait, pour la première fois en Europe, à contrôler des régions plus peuplées que de nombreux Etats européens, ce contrôle lui donnerait une assise politique dont elle était jusqu'alors dépourvue -ce qui ne l'a d'ailleurs pas empêché de gagner les élections régionales. Certes, les régions françaises sont des "nains politiques et financiers", résumait vendredi "Le Monde". Des "nains politiques" du fait de leur compétences réduites (elles sont par exemple nulles dans les deux domaines sur lesquels l'extrême-droite fait campagne, la sécurité et l'immigration, deux domaines auxquels l'actualité, de l'afflux des réfugiés aux attentats djhadistes aura donné une importance électorale hors de proportion avec l'enjeu réel des Régionales ), des "nains financiers" du fait de leurs budgets réduits (inférieurs à celui du canton de Genève). Mais on peut grimper sur ces nains pour s'en faire une tribune médiatique. Et c'est bien ce qu'entend faire le Front National. Face à quelle résistance de la gauche et de la droite démocratique ?

Il n'y aura pas, au second tour des régionales française,  de "front républicain" : si le PS, qui arrive en tête dans trois régions sur 16 (le FN dans six, les "Républicains" dans sept) a annoncé qu'il retirait ces listes arrivées en troisième position là où elles n'avaient aucune chance de dépasser celles de la droite démocratique (mais dans l'est, un socialiste a tout de même maintenu sa liste, au risque de faire passer celle du FN), les sarkozystes, dévaluant le qualificatif de "républicains" sont ils se sont parés, se refusent à pareil geste là où ils sont dans la même situation que les socialistes (quoique le MoDem de François Bayrou, et plusieurs "ténors" républicains, comme Alain Juppé ou Nathalie Kosciusko-Morizet, y soient favorables), préférant ainsi favoriser le FN que le combattre réellement. Quant à la fusion des listes de gauche (PS, écolos, PC "gauche de la gauche"), elle-même ne va pas de soi, après le virage "sécuritaire" du PS, et compte tenu des guéguerres que se livrent, les unes contre les autres, les diverses composantes de cette "autre gauche" -qui, soit dit en passant, n'arrive pas, en totalisant toutes ses listes, à rassembler un électorat pesant la moitié de l'électorat socialiste. "La question qui se pose est de savoir comment être utile dimanche prochain, en accord avec les principes auxquels nous croyons", écrit Jean-Luc Mélenchon... En effet : "comment être utile" (ou à tout le moins ne pas être nuisible) dans la situation électorale qui est celle de la gauche française, toutes composantes confondues, c'est bien la question à se poser, et à laquelle répondre, dans les deux jours à venir. Mais à cette question immédiate, et à la réponse immédiate qu'il faut lui donner, devront bien en succéder d'autres, moins conjoncturelles, plus fondamentales.

Le deuxième tour des régionales fera le point des rapports de force électoraux. Et il sera temps alors, pour la gauche, de se poser, en des termes actualisés, la question que se posait George Orwell, il y a bientôt trois quarts de siècle : "Qu'ont fait les socialistes et les communistes comme erreur pour qu'une partie du prolétariat tombe entre les mains d'Hitler", s'interrogeait  Et de poursuivre  : "Quand le fascisme et l'extrême-droite montent, c'est d'abord aux socialistes -au sens global du terme- de se poser la question sur ce qu'ils sont et ont fait : "où est notre erreur ? Qu'est-ce qu'on n'a pas fait et qu'on aurait dû faire ?". Ce n'est pas le genre de question qu'on se pose beaucoup, en général"... et pourtant, c'est bien "le genre de question" qu'il conviendrait de se poser.
Surtout si on en connaît un début de réponse : ce que les socialistes ("au sens global du terme") n'ont pas fait et auraient du faire, ce ne serait pas d'être socialistes, tout simplement ?

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